Les députés en plein vote, en médaillion Ali Brahimi Le député indépendant de Bouira a été l'un des plus prolifiques à l'APN. Il a été l'initiateur de plusieurs propositions de loi même si elles n'ont pas été toutes adoptées. Il a notamment proposé de remiser le FLN au musée soulevant l'ire de Belkhadem. Il présente le bilan de cette institution. L'expression: La sixième législature arrive bientôt à sa fin. Quel bilan faites-vous de ce mandat? Ali Brahimi: Négatif pour la majorité présidentielle qui a choisi de geler l'Assemblée pour mieux l'asservir à un Exécutif usé et vieilli qui tourne en rond faute de stratégie de développement alternative à la rente, à la corruption et à la répression. Pour les groupes et individus qui se réclament de l'opposition, le bilan doit être fait en fonction des buts qu'ils ont, chacun, fixé à leur présence à l'Assemblée. A l'élection de 2007, nous avions justifié notre participation par deux objectifs: gêner le pouvoir et utiliser la tribune de l'APN pour populariser notre vision politique, relayer les préoccupations des citoyens et les mobiliser autour d'elles et de nos propositions. Nous n'avions jamais promis l'impossible ni pensé aux salaires à percevoir. Personnellement, si j'avais un seul instant conclu à l'impossibilité de poursuivre ces objectifs, j'aurais démissionné, considérant immoral de percevoir 27 millions de centimes par mois sans contrepartie. C'est un contrat moral avec nous-mêmes et le peuple. Et qu'en est-il de votre bilan personnel? J'ai relayé dans l'APN la cause démocratique, entre autres par des questions orales et écrites sur des dossiers lourds (réduction du Service national, augmentation des bourses des étudiants, récupération des fusils de chasse des citoyens, camp de concentration de la guerre de Libération, droits des retraités, enseignement des langues étrangères), trois commissions d'enquêtes (sur Chlef, la corruption, les libertés), des propositions de lois: (liberté de manifester, abolition de la peine de mort, enseignement national et obligatoire de tamazight, soustraction du sigle du FLN, projet de loi électorale, levée de l'état d'urgence huit mois avant que le gouvernement ne réponde aux jeux politiciens, des amendements, des interpellations et des prises de position publiques sur tout ce qui touche à l'intérêt du citoyen et de l'Algérie. Sans avoir de groupe parlementaire à ma disposition, j'ai pu fédérer autour de questions fondamentales jusqu'à 37 signatures venant de différents bords politiques, y compris des rangs de la coalition parfois. C'est une expérience extraordinaire qui montre que pour peu que l'on ait la volonté, la compétence et le contact humain, on peut se battre pour ses idées même dans des milieux hostiles. J'ai eu à utiliser souvent ma fonction de médiation sur des crises et demandes sociales collectives relatives à l'emploi, au logement, l'éducation, à l'assainissement et autres ponts et routes, à la protection des terres agricoles et des propriétés foncières et terriennes de mes concitoyens. Le monopole exercé par les partis de l'Alliance présidentielle sur cette Assemblée n'a-t-il pas influencé la prestation de l'APN? Ils n'usent pas des prérogatives que la Constitution et la loi reconnaissent au député et à l'APN. Ce n'est donc pas un monopole ni même la seule envie de ne pas valoriser ou laisser s'épanouir les propositions des opposants. Il s'agit d'une véritable oeuvre de neutralisation de la fonction parlementaire comme celle qui neutralise les mécanismes de la lutte contre la corruption, le développement... Les apparatchiks qui tiennent les centres de décision des partis de la «majorité» et de l'Assemblée ont imposé la fermeture quitte à recourir à des procédés illégaux comme le refus de déférer en plénière mes propositions de loi. La coalition présidentielle a joué le rôle de forêt de bras toujours disponibles à se lever pour ou contre ce que veut ou refuse le gouvernement. Toutes les initiatives et propositions constructives -même celles venant de leurs propres rangs et il y en a eu, tenues secrètes- se sont brisées sur cette muraille. Mais le plus cocasse, c'est qu'ils ne sont pas les seuls à le faire. L'opposition parlementaire porte une part de responsabilité. Les différents groupes reconnus n'ont jamais tenté un dialogue sur ce qui peut être fait ensemble, hormis se prêter des signatures. Est-ce dû aux ravages du zaïmisme, à des questions de compétence? A croire qu'il y a une volonté délibérée de ne pas provoquer de grosses houles dans des eaux parlementaires particulièrement dormantes. Autant de pistes à fouiller pour le journalisme d'investigation. Les députés sont des rentiers et l'Assemblée n'a plus aucun crédit, estiment les analystes. Partagez-vous cet avis? Le crédit commence d'abord par l'acte fondateur d'une Assemblée: l'élection qui en a configuré la composition. La crédibilité prend forcément un coup lorsque la fraude est massive. Mais il faut noter que c'est le pouvoir Exécutif- gouvernement, wali, services de sécurité, justice- qui organisent toute élection. A moins de souffrir d'amnésie ou de schizophrénie, lorsque l'élection donne une majorité au camp de ses organisateurs, il est difficile de comprendre les ministres ou les walis lorsqu'ils se plaignent de leurs choix. Faut-il rappeler que Belkhadem, Ouyahia et Soltani sont, chacun pour son groupe, les chefs suprêmes des partis de la coalition présidentielle, qui neutralisent le Parlement? C'est à eux qu'il faut donc demander pourquoi l'APN n'est pas crédible. Il reste évidemment aussi à demander à chacun de nous, groupes et individus de l'opposition parlementaire des comptes sur la façon dont nous avons exécuté nos mandats. Mais qu'est-ce qui motive une telle démarche? En vérité, le pouvoir a choisi volontairement de faire du Parlement - de l'APN en particulier - le bouc émissaire pour lui confier la fonction de l'arbre qui cache la forêt. Cet arbuste sert à occulter l'indigence de l'Exécutif en matière de stratégie de développement alternative au pétrole pour créer des emplois et des richesses durables, d'indépendance alimentaire, de remise en état de l'école, de la mise en place d'une justice indépendante, de lutte contre l'impunité et la corruption, de liquidation définitive de l'insécurité et du terrorisme et j'en passe. Je me méfie des thèmes bateau genre «tous les élus -nationaux, wilayaux, communaux- ne font pas leur travail, sont tous incompétents, tous corrompus, etc. à plus forte raison lorsque c'est l'Exécutif qui entretient savamment ce discours. Pourquoi ne pas laisser le peuple choisir et puis juger librement ses représentants? La discréditation de la culture élective et parlementaire a toujours travaillé pour l'autoritarisme et l'opacité des cabinets ministériels et le clientélisme. Notez que le Conseil de la Nation conçu par définition pour bloquer les ardeurs de la représentation populaire directe, échappe à la vindicte publique. Est-ce parce qu'il n'a pas le droit d'initier des lois -donc sans danger pour l'Exécutif- et que le tiers de ses membres est désigné par le Président? Que dire d'un système qui ne se suffit pas des pouvoirs essentiels garantis par la fraude électorale au point de neutraliser même les mécanismes de débat de l'Assemblée par divers procédés tous plus ou moins avouables et de l'intérieur? C'est un régime bien fragile! Et la compétence, et les salaires? La qualité du député relève du choix du parti qui l'a présenté et des électeurs qui lui ont permis d'atteindre ce poste. Cette législature est composée à 84% d'universitaires. Contrairement à ce qu'un préjugé extérieur peut faire penser, il y'a beaucoup de compétences- malheureusement castrées- dans les rangs de la coalition. On ne peut pas toujours en dire autant pour l'opposition désencadrée par le fonctionnement au zaimisme et à l'allégeance. Les salaires sont excessifs en comparaison de ceux très bas de la majorité des travailleurs et compte tenu de l'immobilisme et de la démission de la majorité des députés vis-à-vis de leurs véritables fonctions et pouvoirs. Personnellement, j'ai voté contre l'augmentation des députés en 2008. Néanmoins, cette question très médiatique permet de cacher les salaires et avantages autrement faramineux des ministres, des hauts fonctionnaires de l'Etat et des dirigeants des entreprises publiques. Tenez à l'APN, il y aurait un fonctionnaire payé de loin plus qu'un député.