Chère bouteille! Cela se passe en Algérie pays classé 5e producteur mondial de gaz. C'est le comble du paradoxe. «Au pays du gaz, le citoyen manque de gaz», s'écrie une vieille femme grelottant sous la pluie à la pompe à essence de Caroubier, à Alger. Elle attendait depuis ce matin son tour pour acheter une bouteille de gaz. «J'ai des petits enfants en bas âge à la maison et mon mari est très malade, donc on ne peut pas survivre sans gaz...», ajoute-t-elle avec amertume, elle qui attend là depuis 10h du matin. C'est le comble du paradoxe pour un pays classé 5e producteur mondial de gaz naturel! Même sentiment de dégoût du côté de Ami Ahmed, un sexagénaire venu tôt le matin de Médéa dans l'espoir de trouver cette «précieuse» bonbonne de gaz. «A Médéa, la bonbonne de gaz est introuvable, ce qui a fait qu'elle a atteint les 3 000 DA au marché noir. C'est ce qui m'a décidé à venir ´´tenter ´´ ma chance à Alger», relate-t-il. «Je pensais qu'en venant à la capitale je trouverai du gaz, malheureusement pour moi je ne me suis fait que des illusions...», affirme-t-il. «Même pas une semaine d'intempéries et c'est la crise! Mais c'est quoi, ce pays où même dans la grande métropole qu'est Alger on ne trouve pas de gaz», peste-t-il. «Depuis ce matin un seul camion a desservi ce point de vente. Cette quantité ne suffit même pas pour couvrir les besoins du tiers des gens qui attendaient. Ce qui a provoqué une grosse pagaille», fulmine ce quinquagénaire au visage buriné par la misère et qui est, lui, venu ce matin des Issers avec le même espoir que son ami, Ahmed, à savoir «conquérir» une bouteille de gaz. Amar assure, pour sa part, que la bouteille de gaz est cédée entre 1 500 et 2 000 dinars aux Issers. Kamel, de son côté, s'indigne du manque de réactivité et de prévoyance des autorités. L'anarchie, les bagarres étaient le décor qui caractérisait hier les points de vente de gaz butane. Il fallait jouer des coudes, glisser quelques billets sous la table et parfois en venir aux mains pour arracher la bouteille de gaz, très convoitée en ces journées de terrible froid. «L'Office de météorologie avait prévenu, il y a plus d'une semaine, sur les risques de neige, alors, pourquoi les autorités n'ont-elles pas pris leurs précautions?», s'interroge Saïd, venu de Baraki. Un moment de silence imposé par le froid, la faim et la fatigue, puis un cri au loin ravive les esprits: «Rahou dja, rahou dja» (Il arrive, le voilà, il arrive!), en référence au camion de distribution de Naftal. Malheureusement pour eux, c'est encore une fausse alerte... Aucun camion ne pointe à l'horizon. Au niveau de la grande raffinerie de Sidi R'zine (Baraki), c'est l'alerte, tous les «jeux» se font là-bas! Des centaines de personnes en file indienne attendent à l'entrée de la raffinerie. «Exceptionnellement, on a décidé de vendre directement aux citoyens car on a constaté que les bouteilles que l'on a distribuées aux grossistes étaient revendues au marché noir», atteste le directeur de cette raffinerie qui explique que d'habitude ils ne vendent qu'en gros. Le directeur, qui était mobilisé avec ses agents pour, dit-il, empêcher les revendeurs de faire leur loi, a pris la décision de rester là jusqu'à minuit. «On est au service du citoyen, mais les revendeurs ne nous facilitent pas la tâche», argumente-t-il. «Regardez ces deux jeunes qui veulent prendre en gros, ils les revendent directement aux poulaillers qui les achètent au prix fort. Ce sont les éleveurs de poulets qui ont provoqué cette crise», accuse-t-il. «C'est pour cela que nous avons pris la décision de ne vendre que deux bouteilles par citoyen», précise-t-il. Nous avons alors décidé de suivre les deux jeunes revendeurs pour en savoir plus et grande fut notre surprise lorsqu'ils nous ont assuré qu'ils pouvaient se procurer jusqu'à 10 bouteilles. «On se débrouille avec nos connaissances, on habite dans la ferme à côté. Suivez-nous, vous allez voir», nous invitent-ils. A l'entrée de la ferme, un camion était en train de décharger dans un petit garage des bouteilles de gaz pleines. Juste à côté, se trouvent deux adolescents qui revendent ces bouteilles aux citoyens. «On les achète à 200 dinars et on les revend entre 500 et 800 dinars», avouent-ils. «C'est vrai qu'on fait des affaires avec les éleveurs de poulets mais pas seulement, les citoyens découragés par la chaîne, préfèrent payer que d'attendre», soutiennent-ils. Il est 16h à Sidi R'zine, la chaîne ne fait que s'allonger. Les revendeurs se frottent les mains. Ces terribles images se passent au pays classé 5e producteur mondial de gaz. C'est le comble du paradoxe! Naftal en prend un autre coup pour son image. Alors que la crise des carburants n'est pas encore totalement réglée, voilà que cette vague de froid rajoute une autre crise, celle du gaz butane.