Les Etats-Unis éprouvent beaucoup de difficultés à convaincre la communauté internationale à s'engager en Irak. Poussés dans leurs derniers retranchements, les Etats-Unis s'accrochent à tout ce qui peut, ne serait-ce que de manière accessoire, accréditer leur décision de déclencher la guerre en Irak. En est-il ainsi du président Bush qui n'a retenu d'un rapport du chef de l'IGS (groupe d'inspection en Irak), David Kay, par ailleurs agent de la CIA, que ce qui pouvait justifier la guerre, ignorant délibérément que ce rapport reconnaissait le fait que l'IGS, -un groupe de 1400 experts et scientifiques américains et britanniques-, n'a «trouvé aucune» arme de destruction massive. Mais M.Bush a préféré monter en épingle une appréciation personnelle de David Kay lequel indiquait que le programme de Saddam Hussein «représentait une menace, un sérieux danger», sans étayer ce qu'il entendait par là et surtout sans apporter les preuves de ce qu'il avance. Mais c'était suffisant pour que le président Bush se jette dessus comme sur une bouée de sauvetage, lui donnant une importance démesurée qu'elle n'avait pas en réalité. Ce qui incita l'ancien chef des inspecteurs de l'ONU, Hans Blix, à mettre en garde contre le «risque d'enjoliver les découvertes» estimant par ailleurs que rien, dans le rapport Kay, «ne constituait une menace sérieuse et actuelle» dont faisaient état Londres et Washington. Il faut dire à la décharge de M.Bush, si cela se trouve, qu'il se trouve coincé entre, outre la dégradation sécuritaire continue en Irak, le début du scandale de l'affaire Wilson d'une part, les difficultés que son administration rencontre à faire adopter le projet de résolution américain sur l'Irak, d'autre part. L'affaire Wilson, -le scientifique américain qui dénonça la manipulation par laquelle la Maison-Blanche essaya d'accréditer les tentatives d'achat d'uranium nigérien par Saddam Hussein-, livré en pâture aux médias par des «fuites» révélant l'appartenance de sa femme à la centrale du renseignement, CIA, prend des proportions inusitées. Ainsi, pour éviter que la bombe Wilson ne lui éclate à la figure, George W.Bush est monté au créneau, après l'annonce de l'ouverture d'une enquête par le Département de la Justice, affirmant: «Si quelqu'un a livré des informations secrètes, je veux le savoir». Aussi, le peu de progrès dans la recherche des armes de destruction massive irakiennes, l'affaire Wilson, les coups que la guérilla irakienne inflige aux troupes américaines mettent-ils sur la défensive un président Bush qui plaça son espoir dans une adoption rapide du projet américain de résolution sur l'Irak. Or, non seulement ce projet n'a satisfait ni la Russie ni la France, qui n'ont pas manqué de le dire, vendredi, mais c'est aussi le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, qui clame haut et fort sa déception d'un projet peu différent du précédent lequel ne fit pas l'unanimité des membres du Conseil de sécurité. Washington veut avoir toutes les aides possibles de la communauté internationale, sans rien céder d'autorité à cette communauté. Or, cela semble à l'évidence un peu plus compliqué car l'ONU, directement frappée en Irak, ne veut plus ramasser les miettes et ne prendre aucun risque comme l'indique un diplomate onusien dans un commentaire assez imagé «Il ne peut y avoir qu'un chauffeur dans la voiture et Annan n'y montera pas si ce n'est pas lui qui conduit». On ne saurait mieux traduire le sentiment actuel qui est celui du secrétaire général des Nations unies et plus largement celui de la communauté internationale qui ne cachent pas leurs réserves sur le projet américain. Ainsi, un haut diplomate de l'ONU, chargé d'expliciter la position de Kofi Annan, a estimé que «rien dans le projet américain ne justifie que les Nations unies, - cible en Irak de deux attentats en un mois - , prennent le risque de retourner dans le pays pour y jouer le rôle mineur que leur réservent les Etats-Unis» ; ajoutant: «Nous acceptons les risques s'ils valent la peine mais, si vous lisez le projet, il n'y a rien qui dit que les Nations unies sont indispensables». La Maison-Blanche avait pensé avoir fait l'essentiel en levant l'hypothèque de la menace de veto français. Or, la prise de position claire du secrétaire général, même s'il ne dispose pas du droit de blocage, influe grandement sur le vote des membres non permanents. Ce qui fait, que soudain l'adoption du projet américain est devenue bien aléatoire. Ce que confirment les déclarations, sous le couvert de l'anonymat, de diplomates de pays non permanents. L'un de ces diplomates a déclaré, vendredi : «La douche froide provoquée par le secrétaire général rend peu probable que le projet américain puisse, en l'état, recevoir neuf voix». En effet, pour qu'un projet puisse passer, il lui faut la majorité de neuf voix, et sans aucune voix contre des membres permanents. Un autre membre des dix non permanents ajoute: «Parmi les dix, au moins la majorité s'abstiendra». Ce qui impliquera pour la Maison-Blanche, outre d'essuyer un nouvel échec, de revoir encore sa copie. Cela indique en fait que la puissance militaire reste insuffisante dans le contexte du difficile équilibre mondial. Les Etats-Unis qui ont déclenché la guerre en Irak sans le feu vert du Conseil de sécurité de l'ONU, et n'ont tenu aucun compte des réserves de la communauté internationale, constatent aujourd'hui que leur diktat, et leur puissance intrinsèque ne peuvent pas engager la communauté internationale contre son gré, sans le respect, à tout le moins, de certaines règles du droit et des lois internationales.