Le rapport au Conseil de sécurité des chefs des experts sera crucial pour la suite des événements. C'est aujourd'hui que sera présenté au Conseil de sécurité un bilan des recherches effectuées depuis deux mois en Irak par les experts en désarmement de l'ONU. Après soixante jours d'inspection, les chefs des inspecteurs onusiens donneront une première lecture du travail accompli pour établir si l'Irak a désarmé ou non. Aussi, ce que diront, devant le Conseil de sécurité, Hans Blix, chef de la mission d'inspection de contrôle et de vérification des Nations unies (Cocovinu), et Mohamed El Baradei, directeur de l'Agence internationale de l'Energie atomique (Aiea), déterminera le future de la mission onusienne et sera crucial pour le devenir de l'Irak. Depuis le 27 novembre, date de leur arrivée en Irak, et jusqu'à hier, les experts de l'ONU n'ont, en vérité, rien découvert de probant corroborant les accusations américaines et pouvant incriminer l'Irak de poursuite de son programme de production d'armes de destruction massive. Rien de tel n'a été trouvé, et MM.Blix et El Baradei, n'ont pu, à défaut, que reprocher à Bagdad le peu d'empressement dans sa collaboration à la mission des inspecteurs. Les Etats-Unis qui considèrent cette mission comme un pis-aller, -une concession à l'opinion publique internationale-, lui ont accordé en vérité peu d'importance, à moins que celle-ci apporte les preuves justifiant la guerre que Washington, en tout état de cause, envisage de mener contre l'Irak. C'est dire que le rapport des experts onusien est attendu avec beaucoup de curiosité par les observateurs et analystes. Cela, au moment où des voix, autorisées, comme celle des présidents russe et français, du chancelier allemand, notamment, affirment que rien ne justifie, aujourd'hui, une guerre contre l'Irak. Nonobstant les intérêts des uns, les réserves des autres, il apparaît clairement qu'un éventuel déclenchement des hostilités ressort de la seule volonté des Etats-Unis. De fait, l'opposition, notamment des Européens, à une guerre en Irak, a mis en évidence l'arrogance avec laquelle Washington traite le monde, y compris ses alliés les plus proches. Irrité par les déclarations du président Chirac et du chancelier Schroder, -lesquels avaient réitéré que seule l'ONU pouvait décider d'une éventuelle guerre en Irak-, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a qualifié la France et l'Allemagne de «vieille Europe» par opposition sans doute à la «jeune» Europe plus docile et prête à se plier au diktat de Washington. Ce qui lui attira une admonestation du chef de la diplomatie allemande, Joschka Fischer, qui lui demanda de se calmer, («cool down», lui dit-il). Pressé de porter la guerre en Irak, Bush veut agir vite quitte à se passer du Conseil de sécurité. Ce qui n'a pas manqué de susciter les réserves de la communauté internationale et notamment de trois des cinq Etats détenteurs du droit de veto au Conseil de sécurité. Après le président français et le chancelier allemand (l'Allemagne est membre non permanent du Conseil de sécurité) c'est au tour du ministre russe des Affaires étrangères, Igor Ivanov, de mettre en garde contre toute précipitation, en déclarant, samedi à Athènes, que «L'emploi de la violence sans une décision du Conseil de sécurité va aggraver la situation et aura des conséquence à double tranchant». Cependant, ces réserves et autres mises en garde s'apparentent en fait à la reconnaissance du fait accompli américain, dans la mesure où observateurs et diplomates semblent s'accorder à estimer que la guerre est maintenant inévitable, quelles que soient les conclusions auxquelles arriveront les experts, et qu'il faut seulement y mettre la forme. C'est du moins ce qui ressort de déclarations (sous le couvert de l'anonymat) de diplomates proches des Etats-Unis, selon lesquels, si actuellement «(...) nous n'avons pas les votes nécessaires, (...) dans un mois, et si les inspections se poursuivent avec le même rythme et la même intensité, nous pourrions les avoir». Paradoxalement, estimant la guerre inéluctable, personne ne semble intégrer dans ses propos le fait que les experts onusiens peuvent innocenter l'Irak, en établissant qu'elle a désarmé, et prouver que la guerre est inutile. Pourquoi cette certitude de la guerre? Pour démontrer la détermination de Washington d'expulser de Bagdad le régime de Saddam Hussein? Ce qui à l'évidence ne relève ni des prérogative de l'ONU et, fortiori, de celui d'un Etat, fussent les Etats-Unis. Ce que personne ne semble vouloir relever de manière claire. Il en est ainsi de la réunion qui a regroupé, jeudi à Istanbul, les cinq pays frontaliers de l'Irak, plus l'Egypte. Dans le communiqué final ces six pays «appellent solennellement la direction irakienne à prendre irrévocablement et sincèrement ses responsabilités afin de rétablir la paix et la stabilité dans la région» Le ministre turc des Affaires étrangères Yasar Yakis estimant que le groupe d'Istanbul a délivré «un message de paix et de bonne volonté». Certes, toutefois, il est curieux de relever que ce message qui se veut de paix ne fait aucune mention du principal acteur de la crise irakienne: les Etats-Unis, qui menacent de déclencher une guerre catastrophique pour la région du Moyen-Orient, en leur conseillant, ne serait-ce que pour le principe, la prudence et la retenue. Ce silence, à la limite de l'obséquiosité, n'est en fait qu'un autre aveu de l'impuissance des pays du Golfe et du Moyen-Orient face au diktat américain. Et ce sont les Européens qui s'opposent à une attaque unilatérale des Etats-Unis contre l'Irak.