Chaque personnage souhaite reconstituer les morceaux de son existence brisée tout en restant attaché à son pays, Belgrade. «L'important, c'est de transmettre une émotion celle de la misère, la déchirure et la souffrance du peuple serbe après son déracinement», confie le metteur en scène Toni Cafiero. La Trilogie de Belgrade, la pièce qui sera présentée ce soir au TNA est doublement originale. D'abord, de par le contexte de sa création. Elle est écrite par Biljana Srbljanovic une Serbe qui, elle-même, se définit par son non-identité, mise en scène par un Italien, et jouée de surcroît par un groupe de comédiens composé en partie de jeunes Français et Algériens. Cela n'a pas été facile à monter. Forcément. D'autant qu'elle est aussi décalée du point de vue de la thématique. Ecrit en 1995, ce texte fait suite à la grande vague migratoire de la Serbie qui a vu 200.000 jeunes quitter leur pays. La pièce raconte le devenir de quelques-uns de ces jeunes intellectuels partis à la recherche d'un espoir de vie «possible», à la quête d'une vie meilleure ou du moins différente. La pièce se décline en trois tableaux, selon la destination de chacun des protagonistes à savoir Prague, Sidney et Los Angeles. Chaque personnage est une unité brisée qui souhaite reconstituer les morceaux de son existence tout en restant attaché à son pays, sa culture, ses racines. Cela ne va pas sans créer un conflit dans leur vie de tous les jours. Pas facile peut-être de s'intégrer dans une nouvelle réalité sociale. Cela n'est pas sans rappeler le vécu de nos propres immigrés à l'étranger. Bruno mais aussi Jovan, Mara, Milos, Sanja...chacun de ces jeunes personnages de la «Trilogie» paie le prix de sa séparation avec sa patrie, sa famille, son amour...Ces personnes ont en commun la rage de continuer à vivre tout simplement. «S'inventer une autre vie, un autre futur. Mais combien d'entre nous l'ont rêvé ou désiré, même quand nos vies ne subissaient pas la pression d'une guerre et qu'il ne nous manquait rien? Et combien d'autres jeunes l'ont fait et le feront?», se demande le metteur en scène. Au-delà de l'horreur de la guerre et ses violences, Toni Cafiero a choisi ici de montrer les conséquences qui surviennent après le drame, d'expliquer le pourquoi de ces jeunes qui quittent leur pays après avoir perdu espoir en leur régime et leurs décideurs. Un pays envahi d'arrivistes...C'est aux jeunes de son pays que Biljana dédie La Trilogie de Belgrade, une oeuvre dans laquelle elle affronte le drame de l'émigration et de la perte de ses propres racines. Des jeunes qui, au nom du combat et du recommencement, sont souvent amenés à faire des métiers souvent en-dessous de leur niveau d'instruction. A l'image de ce comédien devenu déménageur, de cette pianiste devenue serveuse ou encore ce sociologue devenu danseur dans une boîte. On gagne sa vie comme on peut et on amasse de l'argent pour qu'on puisse téléphoner à sa famille restée à Belgrade... La pièce se déroule en 1995 dans la nuit du Réveillon. «Je n'ai jamais pensé à cela auparavant. Ce jour-là, tout le monde veut se laver. Se laver de tout ce qui est mauvais. Le changement. L'espoir...», dit un des personnages. Côté décor sur scène, celui-ci se résume à un vieux bus genre années 50 qui fera office de refuge pour ces Serbes. Quelques chaises, une petite table, un frigidaire et d'autres artifices. La pièce privilégie l'action, le mouvement qui s'accompagne du verbe. Le défi de la dramaturgie contemporaine, dit Toni Cafiero, est que «l'auteur s'efface. Il faut qu'on ait l'impression que ce sont les comédiens qui ont écrit le texte». La chorégraphie contemporaine traduit la tension interne des personnages et confère à la pièce tout son poids de malheur et d'angoisse. Dans la distribution des rôles, on retrouve deux comédiens issus de l'INAD, M'hamed Hadj Messaoud et Hadjila Khelladi, un Français d'origine algérienne, Ramzi Saouli et 4 Français André Cosson, Mathieu Boulet, Virginie Le Bret et Grégory Nardella de la compagnie Faux Magnifico. «J'ai suivi les vicissitudes du conflit des Balkans, comme nous en avons l'habitude maintenant, surtout avec les images télévisées. La différence était dans le fait que dans certains lieux rendus faux par la télévision, moi j'y étais. Quelques années avant, quand personne ne pouvait encore imaginer ce qui allait se passer, j'ai été à Fiume, après à Belgrade, à Novi Sad jusqu'à Subotica, en travaillant dans des théâtres. Là-bas, j'avais rencontré des comédiens, des metteurs en scène et des organisateurs de grande valeur artistique et humaine. Et chaque fois, je retournais en Italie avec le souvenir d'un public participant et attentif, sévère mais généreux, plein d'amour et de respect pour le théâtre», affirme Toni Cafiero. Dans la pièce qui vous sera présentée ce soir sur initiative du CCF, loin l'idée du metteur en scène de vouloir provoquer. Chacun pourra retrouver une bribe de sa vie. La réalité aussi fait mal.