L'ex-chef d'état-major des armées turques, le général Ilker Basbug, dont le procès pour terrorisme s'est ouvert lundi près d'Istanbul, est un militaire plutôt modéré, mais que sa volonté de défendre l'institution militaire a poussé à certains excès, selon des analystes. «Ce n'est pas un faucon », estimait Sinan Ulgen, qui dirige le Centre d'études économiques et de politique étrangère à Istanbul, au lendemain de l'arrestation, le 6 janvier, de l'officier. « Il avait ainsi tenu des propos très constructifs concernant la question kurde », affirmant qu'il ne pouvait y avoir de solution uniquement militaire face à l'insurrection des rebelles kurdes dans l'est de la Turquie, ajoutait cet analyste à propos du général Basbug qui risque aujourd'hui la prison à vie. « C'est d'ailleurs pendant cette période », entre 2008 et 2010, lorsqu'il a occupé les fonctions de chef d'état-major des armées, que le gouvernement islamo-conservateur a entamé son « ouverture démocratique », visant à octroyer plus de droits aux 12 à 15 millions de Kurdes de Turquie (sur une population d'environ 73 millions d'âmes), avait dit Sinan Ulgen. Cette tentative de règlement politique a fait long feu, les affrontements ayant redoublé depuis. Accusé d'avoir « appartenu à une organisation terroriste et de l'avoir dirigée et d'avoir tenté de renverser le gouvernement », selon son avocat, le général Basbug, 68 ans et aujourd'hui à la retraite, est jugé à la prison de Silivri, où sont emprisonnés de nombreux prévenus accusés de complot, dont des militaires d'active ou à la retraite. Il est accusé d'avoir chapeauté un groupe d'officiers qui auraient créé des sites internet pour diffuser une propagande antigouvernementale et déstabiliser la Turquie. « Il est différent des généraux de 1997 et autres faucons », qui cette année-là avaient renversé le gouvernement de l'islamiste Necmettin Erbakan, ancien mentor de l'actuel chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan, explique l'universitaire Ahmet Insel, auteur de deux livres sur l'armée turque. «C'est un général qui essaie de ramener l'armée turque dans les casernes », ajoute-t-il. «Mais il a été freiné sur cette trajectoire par sa volonté de soutenir les militaires » arrêtés depuis 2007 pour divers complots contre le régime issu de la mouvance islamiste, d'après M. Insel. Jadis toute puissante en Turquie, y compris politiquement, l'armée turque, qui se veut la garante des principes de la laïcité hérités d'Atatürk, a vu son influence considérablement diminuer ces dernières années, au fil des arrestations, jugements, et révisions constitutionnelles. «Basbug est une personnalité spontanément proche du CHP, mais c'est un engagement qu'il n'a jamais manifesté publiquement », explique M. Insel. Principal parti d'opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), a été créé par Atatürk, le fondateur de la république turque. Dans sa volonté de défendre à tout prix l'institution militaire, le général Basbug a commis de lourdes fautes, juges Ahmet Insel. «L'armée n'a enterré aucune arme en Turquie », avait-il ainsi lancé devant la presse en 2010, après la découverte d'explosifs et d'armes, dont 21 roquettes antichar LAW, destinées selon l'accusation à être utilisées par des militaires comploteurs. De simples « tubes », avait-il ajouté en désignant les armes antichar. De même qu'il avait qualifié de «chiffon de papier » des documents compromettants qui devaient étayer des accusations portées contre les militaires. « Il avait alors donné l'impression d'être quelqu'un prêt à dire n'importe quoi pour défendre l'armée », note Ahmet Insel. Marié, père de deux enfants, le général Basbug, qui a commencé sa carrière militaire en 1963, commandait l'armée de terre, avant de devenir chef d'état-major adjoint, puis chef d'état-major des armées turques, la deuxième de l'Otan en termes d'effectifs.