La Russie réitérait hier ses critiques à l'encontre des opposants syriens, accusés de chercher un soutien militaire en Occident. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov a multiplié depuis le début de la semaine les reproches à l'adresse des opposants et des pays occidentaux et du Golfe réunis au sein des «Amis du peuple syrien». «Même si on armait l'opposition jusqu'aux dents, elle ne battrait pas l'armée syrienne, on aurait alors juste un carnage pendant de longues années», a-t-il estimé, selon les agences russes. M.Lavrov a accusé en substance les «Amis du peuple syrien» de chercher à faire dérailler le plan de paix en poussant les opposants à refuser les négociations pour à terme pouvoir «financer, armer» les rebelles. S'il a répété que la Syrie devait faire le «premier pas» en faveur de l'application du plan Annan, il n'a pas fait référence à la poursuite de la répression malgré la promesse du régime de Bachar Al Assad d'entamer «immédiatement» un retrait militaire et de l'achever avant le 10 avril. Un projet de déclaration sur la Syrie est par ailleurs en discussion au Conseil de sécurité de l'ONU pour que Damas respecte cette échéance, et que l'opposition fasse de même dans les 48 heures. Pour Alexeï Malachenko, du centre Carnegie, la Russie et les Occidentaux, font tout autant preuve d'intransigeance, mais c'est Moscou qui commet la plus grosse erreur. «La faute de Lavrov est de ne pas penser à ce qui viendra après Assad, qui tôt ou tard sera forcé à partir (...) ça fait longtemps qu'il aurait fallu faire pression sur Assad pour former un gouvernement de coalition», note cet expert basé dans la capitale russe. Selon lui, la position russe s'explique avant tout par une ambition de puissance géopolitique. «C'est douloureux pour la Russie, la Syrie c'est le dernier endroit (au Moyen-Orient) où elle peut s'imposer, et la perdre marquerait la fin de la grande époque soviétique», juge-t-il. Mais les autorités russes démentent que leurs intérêts en Syrie guident leur attitude, affirmant faire preuve de discernement en empêchant une «répétition du scénario libyen» qui déstabiliserait toute la région. M.Lavrov a d'ailleurs souligné hier que la chute du régime d'El Gueddafi avait eu pour conséquence l'actuelle offensive dans le nord du Mali des groupes islamistes et des rebelles touareg, ces derniers étant des vétérans aguerris des milices libyennes, d'après des experts. «C'est l'Etat malien qui est en train d'être détruit et ce n'est pas la fin de l'histoire libyenne», a-t-il dit. Viktor Kremeniouk, directeur-adjoint de l'Institut du Canada et des Etats-Unis, estime cependant que Moscou s'est égaré en croyant pouvoir épargner à la Syrie un processus révolutionnaire. «Nous avons essayé de faire de la Syrie une exception au Proche-Orient, et ça ne marche pas», a-t-il dit. En bloquant le débat à l'ONU, Moscou a de plus affaibli sa propre influence diplomatique, selon lui. «A partir du moment où nous avons posé notre veto, le règlement de la question syrienne a commencé à se faire en contournant» l'ONU, relève M.Kremeniouk. «On nous mettra de côté, ainsi que le Conseil de Sécurité, le plan Annan restera lettre morte car les Nations unies ont montré leur impuissance», estime-t-il.