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Un intellectuel éclectique témoin de son temps
LPROFESSEUR KACI HADJAR
Publié dans L'Expression le 07 - 04 - 2012

Kaci Hadjar est fils d'émigré des premières générations
«Les événements dépensent, les peuples paient.» Victor Hugo
De quel côté que l'on décrypte Kaci Hadjar, il ne cesse de nous intriguer. Intellectuel éclectique, le professeur Hadjar s'est découvert graduellement une âme de témoin du siècle C'est avant tout un fils aimant qui nous raconte son affection pour ses parents dont il tire la substantifique moelle en termes de règles dans la vie. C'est aussi un poète. C'est enfin un témoin du XXe siècle qui, à sa façon, nous propose non seulement une grille de lecture mais aussi tente de nous convaincre de ce que serait un monde apaisé en prenant en exemple les relations algéro-françaises. Enfin, comme on le constate, le sort des minorités dans le monde semble le préoccuper au plus haut point
Qui est Kaci Hadjar? Quelques phrases sur son parcours nous permettront d'éclairer le personnage. Kaci Hadjar est fils d'émigré des premières générations avec tout cela comporte comme abnégation pour quitter son terroir et aller affronter une autre civilisation pour pouvoir nourrir sa famille. Il n'est pas étonnant de ce fait, que l'abnégation des parents aidant, le jeune Kaci Hadjar fit ses humanités dans les meilleurs lycées parisiens. Justement, l'une des facettes de Kaci Hadjar, celle qu'il nous plait de rapporter avec d'autant plus de bonheur que nous nous identifions, est l'amour qu'il porte à ses parents.
«Pour Nadir Iddir, Kaci Hadjar rappelle par certains côtés Marcel Pagnol. Avec le créateur de Fanny, il partage la prescience et le respect dû au père. Par ses écrits, il tient à rendre grâce à celui qui fut pour lui le réconfort: son père. En publiant son dernier livre, Mon père disait paru aux éditions Grand Alger Livres, Kaci Hadjar a su rendre compte d'une époque à jamais révolue. Le père ne fut pas instituteur comme celui de Pagnol, mais un ouvrier comme on en trouvait tant dans les usines métropolitaines. De lui, il gardera une certaine retenue et un amour raisonné du verbe et du travail bien fait. Ce natif de Aït Boumehdi, à Aïn El Hammam, reste attaché aux mots bien sentis du paternel, auquel il a su rendre compte dans ce recueil de proverbes bien commentés. Comment peut-il s'en défaire, lui qui a eu à vivre les privations de l'exil avec un père resté toujours attaché à ses racines. Après des études dans l'école indigène, Hadjar ira à Ath Yenni parfaire son éducation avant d'aller rejoindre son père en France. Il y fréquentera l'école des Jésuites dont il gardera un certain rigorisme. Il deviendra plus tard professeur titulaire et chef de service de gynécologie-obstétrique au CHU de Bologhine. De la même manière qu'il donnera naissance sans forceps, à des enfants, il en fait de même pour les mots. Point n'est pour lui de se forcer. (1) (2)
La facette de poète
Lors de la présentation de son ouvrage «Mon père disait...», le professeur Kaci Hadjar a expliqué le pourquoi de l'écriture de ce livre.«J'ai écrit ce livre pour laisser un pan du patrimoine oral que m'a légué mon défunt père», Pour lui, ce livre reprend des proverbes et maximes du terroir que lui «répétait» son père. «Chaque proverbe et chaque maxime recèlent des vertus morales», a souligné l'auteur pour qui ces dictons «sont des principes de vie pour bien éduquer un enfant». «Tous ces proverbes et maximes, qui cristallisent toutes les valeurs, sont en moi, je les connais par coeur, mais je voulais aussi écrire leurs significations, c'est-à-dire les commenter», a affirmé l'écrivain qui a lu quelques maximes et proverbes mettant en exergue l'importance du temps, de la modestie, de la sagesse et l'amour des études et du travail, «dénominateur commun du bonheur, du plaisir et de la réussite». «Notre terroir renferme une infinité de proverbes et maximes», a confié le Pr Hadjar qui a aussi, à cette occasion, souligné la valeur de la lecture. «Le savoir s'acquiert par plusieurs moyens mais particulièrement par la lecture», a relevé le conférencier dont l'ouvrage reprend des maximes et proverbes en tamazight avec une traduction en langue française.
Chacun de nous dit-il, doit écrire non seulement pour laisser des traces, mais aussi pour enrichir notre patrimoine commun». «Mon père disait» est un ouvrage qui ressemble davantage à un hommage où Si Omar, son père, mort prématurément, a su transmettre à son fils les connaissances et surtout ce florilège de proverbes du terroir kabyle, ces savoureux joyaux de la sagesse populaire. (...) Je voudrais donc immortaliser ici sa mémoire, à travers ces proverbes et ces maximes qu'il ne se lassait pas de me répéter, à la moindre opportunité, pour m'inculquer les vertus, et faire de moi un homme, tout simplement.» Pour mon père, l'effort, le travail, les études, la quête du savoir étaient le seul idéal valant la peine d'être suivi par l'homme de coeur et il ne se lassait pas de ressasser ces bons vieux proverbes et maximes kabyles qui incitent à endurer les souffrances, à toujours travailler davantage pour réussir dans la vie.» Tout est dit.
Un sens à la vie
La facette de poète sans le savoir, à la manière de monsieur Jourdain est décrite magistralement par A. Ben Alam: «Un pari fou, écrit-il que celui des éditions Apic, qui viennent de publier un recueil de poésies. En l'occurrence celui de Kaci Hadjar, au titre évocateur: "Les joies et les peines". En alexandrins, s'il vous plaît. Hugoliens et même parfois baudelairiens. L'auteur nous invite à entrer dans un univers où le bucolique le dispute aux scènes du genre. En refermant l'ouvrage, on se dit qu'en fait, Kaci Hadjar a fait le tour de la question: les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver), les jardins, les souvenirs d'enfance (sans jouets, repas du soir, lavandières, le fossoyeur, le marabout...), la vie d'autrefois, la révolution, le vice et la vertu, les secrets de Paris, sont les quelques titres glanés à travers les pages de ce beau livre, bien réalisé sur le plan graphique. Un vrai bijou à offrir à ses amis. Mais c'est une somme, le bilan d'une vie, plus qu'une simple autobiographie. l'auteur fait partie de cette génération de rares étudiants qui ont troqué la plume contre le fusil pour assumer leur devoir contre l'oppression et l'injustice de l'ère coloniale. Actuellement, et cela depuis 1992, il est professeur titulaire et chef de service de gynécologie obstétrique au CHU de Bologhine à Alger. «Les joies et les peines» poursuit A. Ben Alam est de ces livres qu'on ouvre avec délicatesse, un jardin dont on a peur de piétiner les fleurs.(3)
Dans le même ordre, l'éditeur de l'ouvrage écrit: «Au cours de l'existence, il y a un moment où le Destin des Hommes force la réflexion profonde à donner un sens à la Vie qui vient d'être vécue, en bien ou en mal. L'Homme devra se confesser à sa propre conscience, devant le tribunal intérieur; pour se remettre à une Puissance Invisible, mais qui le hante et l'habite... C'est dans ce recueil de poèmes que Kaci Hadjar nous confie ses sentiments les plus profonds et ses souvenirs les plus intimes. «Les Joies et les Peines» retracent quelques aspects de sa vie qui, après le destin cruel qui le frappa: l'obsession de la Mort et de l'Au-delà, le força à méditer sur le sort des Hommes. Aussi, cet ouvrage ne doit pas être perçu seulement comme une sorte d'autobiographie, mais également et surtout comme un témoignage vivant d'une époque où l'enfance sans jouets était synonyme de journées pleines de jeux et de longues nuits dans l'attente du repas du soir... Kaci Hadjar nous invite à pénétrer cette Kabylie, chère à lui, avec ses jardins, son marché, ses oliviers immortels, ses lavandières, son poète vénéré, son fou célèbre, son crieur public, son mendiant et sa touisa... Afin d'échapper au gouffre de l'oubli, «Les Joies et les Peines» nous content un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître...» On le voit, c'est tout le parfum de cette Kabylie qui a forgé des caractères par l'aridité du climat, la rudesse de la vie qui fait que le pari de vivre, voire de survivre est un acte héroïque chaque jour recommencé
Le professeur Kaci Hadjar, pour avoir aussi enseigné de longues années et vu le long délitement de l'éducation en général, et des «humanités» dont il est un exemple, nous donne son avis sur le système éducatif actuel et sur la «perversion d'un Internet mal maîtrisé». Pour lui, «le livre est une culture et doit l'être, car c'est avec le livre qu'on peut combattre l'ignorance». Le livre a besoin de garder sa vocation, même si, reconnaît-il, «on lit de moins en moins du fait de la montée de l'audiovisuel». La lecture était, selon lui, à la fois un loisir et une richesse qui «nous a permis d'embrasser une autre culture». Pour lui, le livre gardera, quelle que soit l'évolution des technologies, son importance. «L'Internet peut même être un complément positif à la fois pour le lecteur et l'écrivain ayant besoin de se documenter, d'étayer ses arguments, et de s'informer», nuancera l'auteur de «La machine infernale», un livre de philosophie riche en réflexions sur la condition humaine.(4)
«Les technologies de l'information tendent aujourd'hui vers une réelle massification. Ainsi pour éviter que le livre ne tombe en disgrâce, notre professeur-gynécologue préconise de prendre en charge en premier lieu la réforme de l'école sans se laisser «obnubiler par les technologies avancées à l'image de l'Internet et tous les artifices de la communication et du multimédia», avant d'ajouter qu'il est impératif d'inculquer à la jeunesse «les vertus qu'elle ne trouve pas toujours dans ces artifices». L'enfant, dit-il, a besoin d'être intéressé dès le primaire à la lecture «en lui donnant les bases de la langue ainsi que les fondations de l'instruction qui sont la lecture, le calcul et l'écriture».(5) Puisse t-il un jour être écouté!
La citation de Victor Hugo citée en préambule nous invite à découvrir une autre facette de cet homme qui a l'indignation à fleur de peau quand il s'agit de la justice. Cette même indignation qui lui a fait prendre le maquis à l'âge où les jeunes actuels demeurent encore maternés. Ainsi, le professeur Hadjar explique dans une certaine mesure l'anomie actuelle du monde que le professeur Hadjar a essayé de décrypter dans un essai paru en 2010, à travers le choix d'un certain nombre d'événements structurants de ces XXe et XXIe siècle de tous les dangers. (6)
Tout y passe dans une analyse sans concession de la guerre du Golfe au rôle trouble et partial du TPI de Bush à Blair. Le professeur Hadjar met les choses au point. Les analyses frappées de bon sens sont certaines fois trop emportées mais n'est-ce pas le prix à payer si l'on veut tout dire, ne rien cacher et éviter de passer à travers les mailles du «politiquement correct» à qui bien des fois Kaci Hadjar a tordu le cou tout au long de cette moisson de savoir dont il ne fait pas un fonds de commerce mais qu'il se sent le besoin, voire le devoir de témoigner même si cela ne plait pas! Il n'est pas là pour plaire ou déplaire. Il est là pour asséner des vérités. Quand il parle dans son dernier essai «L'oppression des minorités» paru en 2011, c'est, le croyons-nous, un concentré en filigrane de tout ce qui ne va pas dans le monde. En honnête courtier il fait l'inventaire de toutes les détresses de ces minorités qui sont réparties dans le monde. Il nous invite ce faisant, à nous rendre compte de la souffrance des Indiens, des Roms et tsiganes, des minorités chinoises, des Basques. Une place spéciale est accordée aux Berbères ce peuple premier de l'Afrique du Nord, de l'Atlantique jusqu'aux confins de l'oasis de Siwa en Egypte. On peut regretter cependant que le sort des Palestiniens ne soit pas évoqué (7).
Bâtisseurs
Le professeur Kaci Hadjar ne veut pas faire carrière- le croyons nous- et attendre une pension royale; son métier il l'exerce depuis trente ans en tant que professeur de gynécologie. Il a donc de ce fait, fait son devoir - curieusement un autre universitaire de talent le professeur Khelifa Zizi professeur émérite de mathématiques à Paris, eut la même réaction lui aussi en tant qu'ancien maquisard -, et bien mérité de la patrie, en répondant d'abord, à l'appel de la patrie pour l'indépendance. Celle-ci acquise, comme il le dit, il retourne sur les bancs de l'école puis de l'université. Et Dieu que ce ne fut pas facile de choisir le chemin le plus dur, celui de tourner le dos à sa carrière de maquisard, ne pas en faire un fonds de commerce et s'embarquer dans un autre Djihad, celui du savoir. Enfin, son mérite, assurément bien dans sa peau après une honnête carrière acquise de haute lutte, est de se révéler sur un autre plan celui de la littérature, de la poésie. Loin du m'as-tu-vu, des biens en cours. Qu'il en soit remercié pour son apport multidimensionnel. Vouloir comprendre le monde qui nous entoure est pour nous tous un exercice complexe, parfois ingrat, souvent épuisant, toujours déroutant. Le mérite de Kaci Hadjar, au-delà de son talent de poète, nous prend par la main et nous explique simplement les choses de la vie.
En définitive, le professeur Hadjar nous invite à revenir aux fondamentaux de la vie - Le respect des anciens, le travail bien fait, l'honnêteté intellectuelle, le respect de la parole donnée, le parler -vrai- seuls repères dans ce maelström de la pensée et cette anomie à tous les coins du monde. Je retire de ce fait, à la livraison de cet hommage mille fois mérité, la satisfaction de contribuer à rendre justice à ces bâtisseurs qui, non contents de faire leur devoir envers la patrie, par les armes, par l'esprit, par leur sacerdoce au quotidien, participent à leur façon à l'aventure humaine et à l'édification des savoirs.
1. Nadir Iddir: Une petite chanson de piété filiale El Watan: 21 10 2007
2. Kaci Hadjar: Mon père disait... Editions Grand Alger Livres 2007
3. A. Ben-Alam www.lexpressiondz.com http://www.vitaminedz.com/les-joies-et-les-peines-de-kaci-hadjar-poesie/Articles_ 16053_30027_0_1.html
4. Kaci Hadjar: La machine infernale Editions Alger Livre Editions 2006
5. http://nadorculture.unblog.fr/2010/01/ 29/kaci-hadjar-ecrivain-on-lit-de-moins-en-moins/
6. Les régimes et les grands événements politiques dans le monde. Editions Grand Alger Livres 2010
7. Kaci Hadjar: L'oppression des minorités dans le monde. Editions Onda 2011


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