La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré restera comme l'oeuvre référentielle pour bien longtemps... Il y a eu tant et tant de films sur les harraga, tournés avec plus ou moins de bonheur des deux côtés de la Méditerranée... Mais La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré, restera comme l'oeuvre référentielle en la matière pour bien longtemps... Pourquoi un tel engouement pour ce film? Sans doute à cause (ou grâce) à cette absence de démarche démonstrative qui leste ce genre de films... Il est d'une sécheresse, malgré l'humidité sénégalaise et la présence totémique de cet océan Atlantique, moins regardant dans ces caprices que notre «Mare Nostrum»... Yousouf N'dour, le tout frais ministre de la Culture, a partagé, l'autre soir, l'incroyable ovation qui a soulevé la salle Debussy, une fois les lumières revenues, avec certainement une pointe de fierté supplémentaire de voir son pays, subsaharien, aux moyens plus que limités, s'imposer sur la Croisette, sans bénéficier des fameuses dérogations diplomatiques, qu'on mettait souvent en pratique en pareil endroit. Pour arriver à ce résultat, Touré, en racontant l'histoire, devenue un classique du genre, des harassantes démarches effectuées par les candidats à l'exil clandestin, a vraisemblablement opté pour une écriture débarrassée de toute cette «graisse» qui fait l'emballage dans lequel on enveloppe tant et tant de scénarios. Histoire de tenir la route... Or là, le cinéaste a misé plus sur une forme d'empathie sans ambages, allant à l'essentiel et qui constituerait, à nos yeux, la thématique de son film: quel est le prix à payer pour rester digne et dans les conditions les plus extrêmes... Que peut engendrer le réflexe de survie? A toutes ces questions existentialistes et essentielles, Moussa Touré apporte des réponses sobres et profondes. Il y a donc une pensée dans ce film qui se dessine lors des séquences égrenées tout au long de cette histoire qui emporte dans ces entrailles, des êtres dont la couleur (noire) n'est pas forcément celle qui les rendrait uniforme au point de se ressembler tous! Non, ils sont musulmans, animistes, peuls, bambaras et leurs différences sont autant de repères culturels, qui, tel un patrimoine génétique, seront mis à contribution, à chaque étape de cette odyssée tragique vers l'Espagne, devenue par la force des choses, une nouvelle Andalousie. Cela se ressent, aussi bien dans le découpage, que dans le cadrage d'une histoire qui tangue, au propre et au figuré, au point de maintenir les choses, souvent hors cadre! Le mal de mer venant se rajouter au mal de la mère (géographique) fait de ce film un bon moment de cinéma. De cinéma, mais cette fois en compétition, il en a aussi été question avec Vous n'avez rien vu du toujours vert Alain Resnais (qui frise les 90 ans!). Des textes d'Anouilh mixés dans le numérique et servis par des générations d'actrices et d'acteurs (de Pierre Arditi à Denis Podalydés en passant par Sabine Azéma et Anne Consigny) à qui Resnais fera dire le... même texte, c'est une proposition cinématographique à déconseiller à la projection de 8h 30, si l'on ne veut pas passer à côté d'un petit bijou... On dit déjà que c'est la Palme d'or. Voire. Ce serait honnêtement une Palme pour le maître, alors... Ce qui est certain, c'est que Ken Loach, le Britannique gauchiste de Sa Majesté, a, lui, fait dans le cinéma direct, sans affèterie aucune. Il renoue avec la comédie sociale, innovant même dans un genre qui ne lui était pas trop collé, celui du comique de situation. Et cela donne un moment de pure gaieté, à la limite de l'hilarité. Certes, était donné en filigrane un cours complet de transformation du précieux malt, mélangé à la non moins précieuse de pureté de l'eau des Highlanders, qui rendrait incollable, en la matière, le plus sobre des bipèdes, mais, et c'est là que la touch loachienne surgit telle une fulgurance, n'escamote aucunement le contexte social et économique dans lequel se débattent les jeunes désoeuvrés, en quête de cette part de l'ange aussi volatil qu'un Graal... Ce à quoi ne peut nullement prétendre le fils de David Cronenberg, Brandon, qui évolue dans une section parallèle pendant que son père rejoue cette année en compétition. Cronenberg Junior a fait avec Antiviral, le film à ne pas faire et sa présence sur la Croisette ne fait que conforter ceux qui pensent, et ils sont de plus en plus nombreux, que Cannes est aussi un annuaire mondain dans lequel doivent figurer, d'office et donc une année après l'autre, toujours les mêmes cinéastes. Cette année, cela est encore plus flagrant avec la présence absolument imméritée de Abbas Kiarostami, qui continuant ses pérégrinations hors d'Iran, a jeté son dévolu, après l'Italie, sur le Japon cette fois... Selon toute vraisemblance, Kiarostami n'a pas attendu le temps qu'il faut pour récupérer du jet lag et le décalage n'en est que plus probant, voire affligeant... Désopilante aussi fut la prestation du sympathique Brad Pitt qui s'est démené de tout son saoul pour sortir de l'ornière le film noir Cogan-La mort en douce de Andrew Dominik... Mal dirigé, la bride sur le cou trop souvent, Pitt n'a pas fait le pitre, mais aurait pu, car au moins il nous aurait fait un peu sourire..