Le cinéma mondial tient ses assises sur la Croisette, à Cannes, à l'occasion du 65e Festival international du film (16-27 mai). Une nouveauté : un pavillon algérien au Village international. Deux sélections : Merzak Allouache à la Quinzaine des réalisateurs, et Malek Bensmaïl à la Cinéfondation. Une masse de films, une foule de professionnels : artistes, journalistes, vendeurs, acheteurs, à l'assaut de dizaines d'écrans au Palais des festivals, marché du film, salles de la rue d'Antibes et dans la périphérie. Les 4000 journalistes présents naviguent d'un lieu à l'autre, jour et nuit. Le public est seulement admis au «cinéma de la plage». L'acte 1 du journaliste est de plonger dans le tumulte du «bunker» rose pour récupérer son badge et la grille des projections, afin de pointer les films dont il sait qu'il les voit en priorité et en première mondiale. Une thèse vraisemblable : le festival aurait retiré à la dernière minute de la «short list» de la compétition officielle Zabana, le film de Saïd Ould Khelifa (SOK), afin de mettre la Croisette à l'abri des sombres desseins des nostalgiques de «l'Algérie française» qui s'étaient montrés très agressifs lors de la présentation d'Indigènes, le film de Rachid Bouchareb. La compétition officielle comprend 22 films. Le 65e festival a beaucoup de chance d'avoir pour président du jury international le grand cinéaste italien, Nanni Moretti. C'est un brillant artiste, extrêmement talentueux, attachant, sympathique, chaleureux et plein d'humour. Nanni Moretti a, au fil des ans, mis en scène des œuvres nouvelles, originales, parmi lesquelles on citera La chambre du fils (Palme d'or à Cannes en 2001), Journal intime (prix de la Mise en scène à Cannes en 1994), Sogni d'Oro (Lion d'argent à la Mostra de Venise en 1981), La messe est finie (Ours d'argent en 1986). Son dernier film a été présenté l'an dernier à Cannes : Habemus Papam, avec Michel Piccoli dans le rôle du pape élu, mais qui quitte le Vatican seul pour plonger, incognito, dans les rues de Rome... Il y a cette année beaucoup de choses à voir, à prendre ou à laisser. Obéissant à une certaine «politique des auteurs», la compétition réunit, en effet, des œuvres d'Alain Resnais, Ken Loach, Abbas Kiarostami, Walter Salles, David Cronenberg, Michael Haneke... On flaire là des choses incontournables. En plus, l'Egypte est sur la liste, avec Après la bataille (Baâd el mawkeaa) de Yousry Nasrallah, une histoire qui tourne autour du soulèvement de la place Tahrir et de la sombre vengeance des hommes de Moubarak, montés sur des chevaux et des chameaux... Parti vivre à Tokyo, l'Iranien Abbas Kiarostami revient à Cannes avec une fiction totalement nipponne, Like someone in love, espérant sans doute rééditer son exploit de 1997, où il avait décroché la Palme d'or pour son chef-d'œuvre Le goût de la cerise. On se demandait qui allait enfin filmer On the road de Jack Kérouac, puisque Coppola n'a pas réussi à mener son projet à terme ? C'est finalement le Brésilien, Walter Salles, primé dix fois pour son adaptation du roman d'Ismaïl Kadaré, Avril brisé, et réalisateur, entre autres films, de Central do Brasil (Ours d'or au Festival de Berlin en 1998). Retour à Cannes pour la énième fois de Ken Loach avec The Angel's Share (la part de l'ange), une histoire située à Glasgow dans une distillerie de... whisky. Et c'est à New York que le Canadien, David Cronenberg, a filmé Cosmopolis. C'est l'ère, dit Cronenberg, où le capitalisme louche touche à sa fin ! Peut-être s'est-il, lui aussi, converti au mouvement «Occupy Wall Street», où des groupes de jeunes contestataires installent le chaos aux portes des grandes banques et secouent l'empire du business. Le Festival de Cannes, cette année, a aussi beaucoup de chance de recevoir Martin Scorsese. Le grand metteur en scène américain est, du reste, un habitué du festival, où, en plus de la présentation de ses films, il poursuit avec dévouement son œuvre de préservation, de sauvegarde de vieux films, à travers sa Film Foundation, qui a déjà sauvé de la perte 200 films américains. Selon Martin Scorsese, en effet, la moitié des films américains faits avant 1950 et 90% de ceux faits avant 1929, sont perdus à jamais. En 2007, au Festival de Cannes, Scorsese a créé The World Cinema Foundation, à travers laquelle il poursuit son travail de sauvegarde des chefs-d'œuvre du cinéma mondial : La Dolce Vita (Federico Fellini), La momie (Shadi Abdessalam), Touki Bouki (Djibril Diop Manbety), Transes (Ahmed El Manouni)... Cette année, au programme de Cannes Classics, Martin Scorsese présente des films restaurés, comme Il était une fois dans l'Ouest (Sergio Leone, 1984, une copie intégrale), Kalpana (Uday Shankar, Inde 1948), The house maid (film culte de Kim Ki Young, Corée du Sud 1960), Après le couvre-feu (Usmar Ismaïl, le père du cinéma indonésien 1921-1971). Cannes Classics, la section haut de gamme du Festival de Cannes, montre en tout 13 longs métrages, 2 courts et 4 documentaires. C'est là qu'on reverra Lawrence d'Arabie (David Lean ,1962), The ring (film muet d'Alfred Hitchcock,1927) ou Viaggio in Italia (Roberto Rosselini,1954).