«Ils resteront deux siècles en Terre sainte, pillant et massacrant au nom de Dieu. Cette incursion barbare de l'Occident au coeur du monde musulman marque le début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme» (Les croisades vues par les Arabes) Amin Maalouf On ne sait pas quand les pays arabes auront atteint le fond de leur lente et durable décadence. Certains historiens font remonter cette décrépitude à l'époque des invasions turco-mongoles et d'autres aux guerres de croisades: ces dernières marquent encore la pénétration de l'impérialisme occidental dans les affaires du Moyen-Orient et du Nord de l'Afrique. Si hier, le prétexte trouvé pour contrôler la route de la soie et des épices fut la libération du Saint-Sépulcre, aujourd'hui, les immenses richesses énergétiques enfouies sous les sables motivent les puissances occidentales à ne pas s'embarrasser de scrupules pour redessiner au gré de leurs intérêts, la carte du Moyen-Orient. Et du Nord de l'Afrique. La domination franco-britannique au lendemain de la Première Guerre mondiale partagea les anciennes possessions sous autorité turque en une multitude de royaumes et d'émirats dont les dirigeants ne serviront que de pompistes aux puissances occidentales. La création du Liban en 1940 donna le coup d'envoi pour le lotissement de cet empire en Etats confessionnels. Israël trouvera ainsi le terrain balisé pour servir de tête de pont aux forces de l'Otan. Toutes les tentatives des leaders arabes portés par le baâthisme se heurteront à la terrible puissance des armées de l'Otan, de leurs alliés locaux comme les dictatures turques qui joueront un rôle important dans le complexe échiquier de cette région du monde morcelée en une multitude d'ethnies, de confessions, de sectes et de courants idéologiques divers. Il ne faut pas négliger non plus le rôle néfaste des monarchies et des émirats du Golfe arabique qui participent de plus en plus à l'étouffement des velléités de liberté des populations arabes. Il faut se rapporter à l'excellent roman d'Amin Maalouf pour comprendre que la situation n'a guère évolué depuis l'époque de Salah Eddine et de Richard 1er Coeur de lion où les dirigeants de ce Monde musulman sont décrits comme corrompus et/ou englués dans leurs querelles dynastiques. Côté Francs, il nous rapporte les exactions commises, les serments non tenus, les trahisons et l'absence de scrupules des grands chefs croisés. Indéniablement, plus qu'un «simple» conflit religieux qui aurait opposé chrétiens et musulmans, les croisades furent bien un violent choc des civilisations. Un séisme cataclysmique qui vint remettre en cause les fragiles équilibres politico-militaires entre les différentes puissances présentes. Turcs, Arabes, Francs, chiites, sunnites, coptes, orthodoxes, latins, juifs... Ce que l'on appelle la «Terre sainte», c'est une incroyable mosaïque de peuples, de croyances, d'origines ethniques, de dynasties rivales, de califats en lutte depuis des décennies... Dans cet incroyable imbroglio, les Occidentaux vinrent tout bouleverser, se taillant une place dans cet espace géopolitique à grands coups d'épée. «Dans un camp, Tancrède d'Antioche, entouré de mille cinq cents chevaliers et fantassins francs (...) A leurs côtés se tiennent six cents cavaliers turcs aux longues tresses, envoyés par Redwan d'Alep. Dans l'autre camp, l'émir de Mossoul, Jawali (...) dont l'armée comprend deux mille hommes répartis en trois bataillons: à gauche, des Arabes, à droite, des Turcs, et au centre des chevaliers francs, parmi lesquels Baudouin d'Edesse et son cousin Jocelin, maître de Tell Bacher (...)». Ainsi, on peut comprendre à présent pourquoi après l'Irak, le Soudan et la Libye, les forces de l'Otan et leurs alliés locaux, les pompistes du Golfe et la Turquie applaudissent à la mise en scène de massacres de populations civiles: c'est un leitmotiv, tous les jours repris par les médias occidentaux, pour peser sur les opinions et préparer, comme en Irak et en Libye, une intervention militaire qui aiderait les mercenaires armés et payés par le Qatar, grand exportateur de gaz devant l'Eternel, à renverser des régimes qui ont encore un peu de nif.