Et pourtant on lui avait bien interdit de souffler mot ! Dès sa peine de prison consommée, les pouvoirs publics avaient naïvement cru que le célèbre prisonnier se tairait, lui et son comparse des mauvais jours, Ali Benhadj. Hier soir, le vieux cheikh est revenu défrayer la chronique. Pendant plus d'une heure, sur le plateau d'Al Jazira, Abassi Madani signe et persiste: la paix a un prix. Et en prime à sa prestation, qui a battu le record de l'audimat pour une soirée ramadanesque sur le plus grand network arabe de tous les temps, il offre aux Algériens le temps de savourer un kalb el louz au thé, de nouvelles idées pour asseoir une paix qu'il croit encore factice. Drôles de moeurs politiques que celles qui ont permis au premier responsable et au commanditaire d'une sanglante guerre civile ayant coûté à l'Algérie pas moins de 150.000 morts de quitter le pays en empruntant le salon d'honneur sous le regard médusé de la PAF pour aller se refaire une santé en Malaisie avant de revenir à Qatar où l'Emir de cette principauté, en personne, l'accueille royalement dans son palais. Le pouvoir a gaffé ! Il vient de réhabiliter l'image d'un cheikh défroqué non seulement auprès du peuple algérien qui n'a pas fini de souffrir des affres du terrorisme dix ans après le premier coup de feu du «djihad», mais il lui fait encore l'insigne honneur de lui baliser la voie pour accéder aux allées du pouvoir dans les palais princiers du golfe, jadis principal soutien logistique du GIA et de l'AIS. Toujours insidieux, jamais franc et loyal, Abassi lance des piques empoisonnées contre le pouvoir, comprenez l'armée, les généraux qui l'ont empêché d'asseoir un régime théocratique et de faire de 30 millions d'Algériens, un peuple d'esclaves assujetti à Téhéran, à l'Arabie Saoudite, voire même au Maroc de l'Emir des croyants. Abassi Madani a remis, hier soir, le débat sur le tapis. Exit la concorde civile. Exit la paix tant que la donne islamiste ne sera pas prise en considération par la République. Le discours politique du chef du FIS dissous est resté inchangé. Il a resservi des plats froids sinon congelés depuis dix ans à un peuple qui a décidé de rompre les amarres avec les derniers avatars de l'Histoire. Pour lui, «les victimes sont les islamistes, les criminels sont les gens du pouvoir». Tout est dit. L'homme pointe du doigt ce qu'il croit être le dernier carré des irréductibles. Il hausse le ton. Il exige que le régime change. Tombe. Presque un nouvel appel au meurtre. Abassi Madani confirme, sans ambages, qu'il parle au nom de tous les islamistes, comprenez l'ex-AIS, le Gspc et le GIA . En un mot, Abassi Madani a plaidé hier pour l'instauration d'une pax islamica. Il remet en vogue un discours suranné rendu caduc par l'échec sanglant de l'aventure d'une organisation paramilitaire à l'origine d'une insurrection nationale inédite dans l'Histoire du pays. Si la concorde civile, selon ses dires, n'a pas tenu toutes ses promesses, il s'est montré, en tout cas, fort exigeant en revendiquant dans son «plan de paix» la libération de tous les détenus sans distinction, y compris ceux relevant du droit commun, l'amnistie présidentielle pour les groupes armés et dévoiler la vérité sur le sort de tous les disparus. Qui a remis en selle le vieux cheikh? Et dans quel but? Voilà les deux questions qui n'en finissent pas, aujourd'hui, de me tarauder l'esprit après l'avoir écouté hier soir. Que n'a-t-il fallu qu'il tienne ce discours de paix, de fraternité dans les moments douloureux où nos ennemis préparaient la mise en terre de l'Algérie. L'«initiative de paix» d'Abassi Madani ressemble étrangement à l'histoire du cheval de Troie. Qui peut, qui veut encore y croire parmi les Algériens en cet automne 2003?