Le président de la République semble, de nouveau, avoir mis islamistes et militaires face à face. Les remous provoqués par les déclarations d'Abassi Madani ont été à ce point graves pour, d'une part, placer le parti dissous sur orbite, et d'autre part, mettre l'armée, de nouveau, en position de défense, et enfin braquer les regards sur la présidence de la République, accusée d'avoir délibérément créé cette nouvelle confrontation FIS-armée, en concédant au numéro 1 du parti dissous le droit de sortir du territoire national et, de fait, celui de parler à satiété et de lacérer les généraux. La position du MDN, qui fait allusion aux déclarations de Abassi Madani et nie avoir reçu une copie de l'initiative de paix proposée par celui-ci, stigmatise en fait le geste du président de la République qui a consenti, de manière délibérée, suite à un deal politique, ou à une stratégie qui reste à cerner, de remettre son passeport au septuagénaire président de l'ex-FIS et de lui permettre de voyager et de s'exprimer politiquement dans un contexte où les enjeux sont à la démesure de la fragilité qui touche les institutions du pays. Seulement, voilà ce qui semblait aller dans le sens escompté par le président Bouteflika s'avère, aux yeux de tous, comme une arme qui s'est retournée contre lui. Car si au lendemain du départ de Madani en Malaisie, les déclarations élogieuses de celui-ci à l'endroit du Président avaient permis de croire qu'un «deal politique» avait été passé entre les deux hommes, les critiques acérées prononcées lors de son passage à l'antenne de la chaîne de télévision Al-Jazira, avaient réduit le rôle de Bou teflika à celui d'«acteur politique qui perpétue le système». Selon un membre algérois de la direction du parti dissous, «aucun deal politique n'a été passé avec la présidence, mais seulement des concessions de part et d'autre, avec la promesse faite par Abassi Madani de lancer, aussitôt parti, un appel au calme, au resserrement des rangs des Algériens et à l'unité nationale». Cette vague promesse, synonyme d'un soutien au président de la République, avait été donnée aux émissaires de Bouteflika au début de l'année 2003. A la veille de la libération d'Ali Benhadj, figure emblématique du FIS, il était déjà arrêté que Madani quitte le pays, car il était hors de question de le laisser en Algérie avec son numéro 2, ce qui constituait un «mélange explosif» pour les autorités. Il ne restait qu'à trouver la destination idéale - et surtout pour les autorités -, «inoffensive». L'hostilité des capitales européennes à l'islamisme, suite aux événements induits par le 11 septembre 2001 et la présence d'anciens leaders du FIS à Kuala Lumpur avaient déterminé le départ du cheikh en Malaisie, où il fut accueilli avec tous les honneurs inimaginables. Cependant, le temps passé à consulter ses états-majors, dont principalement, le groupe Dhina-Fillali-Habès, le trio djazaâriste qui, à partir de Bruxelles et de Genève, semble avoir fait main basse sur le parti dissous, a convaincu Abassi Madani que le président de la République ne ferait aucune concession aux islamistes de l'ex-FIS et qu'ils seraient toujours interdits d'activer parce que «le dossier FIS relève du sécuritaire et non plus du politique». Voilà ce qui semble avoir déterminé les attaques de Madani contre le Président qu'il qualifie aujourd'hui de «simple élément d'un ensemble qui s'appelle système et que Bouteflika ne peut maîtriser».Une autre lecture tout à fait opposée, peut disculper Bouteflika des accusations portées contre lui par Madani, en ce sens qu'elle le met à l'écart de toute décision politique importante, tout en changeant le «cercle des décideurs» de toutes les dérives qui se passent en Algérie. Cette seconde lecture, illisible, et dont les codes restent invisibles, est à placer dans une perspective de décryptage des stratégies de puissance.