Les chaînes de télévision dites privées comme Ennahar TV, Chourouk TV ou Al Djazairia sont de «droit étranger» Elles ont pu s'adresser à l'Algérien dans sa langue, loin de la langue de bois. On lui a fait vivre sa culture, une culture algérienne, qui n'est pas la culture égyptienne ou turque. Sofiane Maloufi est directeur général de «Media and Survey», une agence conseil en publicité média et hors média, qui regroupe en son sein plusieurs métiers, à savoir, la création, la production BTL, le média planning et l'achat d'espaces et enfin la réalisation d'études marketing, y compris les mesures d'audience média. Dans cette interview traitant des chaînes de télévisions privées en Algérie, Maloufi soutient que la réussite de chaînes privées réside dans le fait qu'elles ont investi dans les échecs enregistrés par le secteur public. Et d'ajouter, il faut que les pouvoirs publics mettent sur pied des assisses juridiques pour ces chaînes. L'Expression: Même en l'absence de textes juridiques définissant le rôle et les missions des chaînes de télévisions privées occupant la scène nationale, néanmoins certaines chaînes activent et se montrent de plus en plus présentes. Qu'en pensez-vous? Sofiane Maloufi: D'abord, il est important de savoir que les chaînes de télévision dites privées comme Ennahar TV, Chourouk TV ou El-Djazairia sont de «droit étranger». En Algérie, elles ne reposent pas jusqu'ici sur une assise juridique leur permettant d'exercer leurs missions dans un environnement légal. Ces chaînes n'ont pas, par conséquent, une existence légale. Elles enregistrent leurs émissions, certes, à partir de l'Algérie, mais émettent à partir des pays étrangers, notamment à partir des pays du Golfe. Cela dit, il n'y a pas encore de cadre juridique, qui régit les chaînes de télévision privées. Car, la loi organique sur l'information promulguée en janvier 2011 et qui prévoit un texte ultérieur et spécifique sur l'audiovisuel tarde à venir, quoiqu'il est plus qu'impératif aux pouvoirs publics de démonopoliser le champ audiovisuel. Ouvrir le champ de l'audiovisuel aux professionnels privés est une nécessité s'expliquant par des raisons fondamentales. D'abord, il constitue une exigence démocratique pour permettre l'expression plurielle des courants de notre société. Ensuite, il faut dire également que des chaînes privées algériennes peuvent constituer une rampe contre d'autres chaînes étrangères en l'occurrence Al Jazeera, Al Arabia etc. Ces dernières, profitant du vide médiatique algérien pour se frayer un chemin, s'imposent en référence aux télé-spéculateurs algériens et façonnent leurs opinions. Et puis, il faut surtout souligner que ces chaînes du Moyen-Orient obéissent à des directives et des lignes éditoriales bien précises. Donc, les pouvoirs publics sont appelés, aujourd'hui, plus que jamais, à consacrer les textes de lois régissant l'audiovisuel et qui définissent les conditions de création de chaînes de télévision et de radios transparentes, garantissant le pluralisme sous une autorité de régulation indépendante et des mécanismes de gestion. Comment expliquez-vous le retard pris ainsi que l'opacité sur le contenu du projet de loi portant sur l'audiovisuel en Algérie? Je pense que le retard enregistré jusqu'ici dans le cadre de l'ouverture de l'audiovisuel aux privés s'explique par diverses raisons fondamentales. En premier lieu, je dirais que les bouleversements intervenus dans le Monde arabe et même au Maghreb dans le cadre du «printemps arabe» ont poussé les pouvoirs publics à observer une position attentiste pour des raisons politiques et stratégiques. Et en plus, il y a également l'environnement politique national qui est en transition. Cela nous rappelle surtout les débuts de l'ouverture de la presse écrite au privé durant les années 1990. Celle-ci a connu également des moments difficiles. Elle a pataugé un peu dans un vide juridique avant qu'elle s'ouvre sur des horizons plus clairs et se mette sur des assises juridiques plus ou moins claires. Aujourd'hui, nous assistons à une montée de ces chaînes privées qui gagnent en audience. Comment expliquez-vous ce fait? Les chaînes privées algériennes ont surtout investi sur les échecs du secteur de l'audiovisuel public. Elles ont compris la frustration des citoyens qui demeurent marginalisés par le secteur public. Elles ont pu s'adresser à l'Algérien dans sa langue, loin de la langue de bois. On lui a fait vivre sa culture, une culture algérienne, qui n'est pas la culture égyptienne ou turque diffusées à haut débit par les télévisions étatiques. Et à travers ces chaînes, les Algériens racontent leur vie quotidienne, soulèvent et s'expriment sur leurs soucis. Bref, ils trouvent une occasion pour s'exprimer sans gêne et sans crainte. A travers ces chaînes, les citoyens ont donc pu voir des documentaires, des personnalités nationales, disons indésirables dans le secteur public, s'exprimer en toute liberté. Ces chaînes incarnent par voie de conséquence une culture algérienne et s'adressent aux Algériens. Et puis, il y a aussi et surtout cette soif de liberté d'expression chez l'Algérien. Et quelles sont, selon vous, les limites de ces chaînes? D'abord, il faut créer une assise juridique pour ces chaînes de télévision et leur permettre de mener leurs missions dans les règles de l'art. Bien entendu, il ne faut pas permettre à des cartels d'aboutir à des «monopoles pluriels». De même, pour que les chaînes publiques soient une nécessité, il faut, par un cahier des charges, qu'elles se transforment en espaces d'expression plurielle et démocratique et non en canaux de propagande. Par ailleurs, il faut également que ces chaînes investissent dans le professionnalisme, arrêtent des politiques managériales et de marketing, tout en respectant l'éthique de la profession.