Les attentats se poursuivent en Irak. Washington fait appel aux milices. Les fêtes de l'Aïd n'ont pas donné lieu à la traditionnelle trêve des confiseurs en Irak, où les attentats se poursuivent avec la régularité d'un métronome. Hier encore, une bombe a explosé à Bagdad sur le passage d'un convoi de deux véhicules militaires américains, à quelque 200 mètres de la mosquée sunnite, Samarraï, et du marché hebdomadaire du vendredi, deux endroits très fréquentés en ce jour de prière. Quatre personnes sont mortes, trois Irakiens et un soldat américain, alors qu'il a été relevé une quinzaine de blessés. Selon un témoin oculaire, «Un premier Humvee américain est passé puis au passage du second, la bombe a explosé. La déflagration a été très forte. Toutes les vitres ont volé en éclat». Le même témoin précise «Un morceau de crâne a été projeté dans ma boutique». De fait l'explosion a été tellement puissante que des morceaux de chair étaient éparpillés partout. Loin d'évoluer selon les plans conçus par les stratèges américains, la situation, en revanche, se dégrade chaque jour et son contrôle échappe de plus en plus à l'état-major américain en Irak. Lors de l'occupation de l'Irak en avril dernier, le commandement central américain, ordonna la dissolution de milices, autant de petites armées, qui existaient alors en Irak, et dont nombre d'entre elles combattaient le régime de Saddam Hussein. Seuls en fait les milices pro-américaines, telles celles des deux partis kurdes, de l'Union patriotique du Kurdistan, (UPK de Jallal Talabani), et le parti démocratique du Kurdistan, (PDK, de Massoud Barzani), de même que celles du Congrès national irakien (CNI d'Ahmed Chalabi), et les milices chiites du Conseil suprême de la Révolution islamique d'Irak, (CSRII), ont été, avec quelques réserves, maintenues. Ce sont en fait ces milices qui, d'ailleurs, vont constituer l'ossature de cette nouvelle force de sécurité d'appoint créée par les Américains. Aujourd'hui, devant la recrudescence des attentats et la dégradation généralisée de la situation Washington fait donc marche arrière et fait appel aux milices pour contribuer à lutter contre la résistance et à contenir les offensives de la guérilla irakienne. Ainsi, l'armée américaine a annoncé qu'elle recrutait «dans l'urgence des miliciens pour traquer les membres de la guérilla hostiles à la coalition en Irak». Selon le Washington Post, d'hier, «ce bataillon antiterroriste de 750 à 850 combattants collaborera avec les soldats des forces spéciales américaines, sous l'ordre du commandement central et sera déployé dans un premier temps autour de Bagdad». C'est en fait le retour au mercenariat, -sous une autre forme et pour d'autres objectifs certes-, déjà pratiqué par les forces coloniales en Afrique notamment. Il n'est pas précisé, par les sources militaires américaines, si ces «miliciens» seront uniquement des Irakiens, ou s'il sera fait appel, à l'avenir, à des étranger, ces combattants professionnels, qui louent leurs services pour de l'argent. En tout état de cause les Etats-Unis se sont ainsi vu contraints à improviser en s'engageant sur une pente incertaine, même si cette évolution semble rencontrer l'adhésion de membres du Conseil transitoire irakien de gouvernement. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Hoshayr Zebari, membre du PDK, a dit sa satisfaction de cet arrêt déclarant «Je pense qu'il s'agit d'une sage décision». Ne s'arrêtant pas à cette seule initiative, Washington a également appelé l'Otan à s'impliquer davantage en Irak comme vient d'en faire la demande, à Bruxelles ce jeudi, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell. «Nous demandons à l'Alliance d'examiner comment elle pourrait faire plus pour soutenir la paix et la stabilité en Irak, dont chaque dirigeant (de l'Otan) a reconnu qu'elle était capitale pour nous tous» a déclaré M.Powell, ajoutant qu'aucun allié «ne s'est érigé contre (cette demande) ou n'a soulevé des raisons de ne pas le faire». Là aussi, Hoshayr Zebari, s'est déclaré favorable à l'idée d'accueillir l'Otan, indiquant «Nous, en tant qu'Irakiens, accueillons tous les efforts internationaux visant à nous aider». Toutefois, le secrétaire général de l'Otan, Lord George Robertson, a quelque peu refroidi les esprits en expliquant que son organisation «n'entendait pas dans l'immédiat jouer un rôle plus important en Irak» indiquant qu'«il n'existe aucun projet sur la table pour un rôle accru de l'Alliance en Irak, dont la priorité, précise-t-il, est pour l'instant l'Afghanistan», avant que d'ajouter: «Nous ne sommes pas arrivés au stade où quelqu'un a fait une proposition concrète» et concluant «Mais personne n'a exclu un rôle plus large le moment venu». Acculés par la résistance irakienne, les Etats-Unis essaient ainsi de brasser très large, en faisant d'abord appel aux pays pour l'envoi de renforts militaires, avec le peu de succès que l'on sait, ensuite par le recrutement de miliciens, enfin en se tournant vers l'Otan. Tout cela sans passer, ni impliquer, les Nations unies, toujours tenues à l'écart et marginalisées dans le processus de rétablissement de la stabilité et de la sécurité en Irak. Maître d'oeuvre de l'occupation de l'Irak, Washington ne semble pas prêt, malgré ses échecs répétés sur le terrain, à réviser une stratégie qui a montré ses limites, refusant même à l'ONU le rôle qui lui revient de droit en Irak, et réclamé par la communauté internationale. La force a échoué, ou est en voie d'échouer, en Irak, n'est-il pas, dès lors, temps pour les coalisés de reconnaître les faits et de coopérer plus franchement avec la communauté internationale, via les Nations unies, au moment où le bourbier irakien prend chaque jour plus de consistance et de réalité?