«Méditerranée! Le berceau de l'humanité était devenu le tombeau de ce petit bout d'humanité...» Farid Benyoucef, auteur du «Festin du diable», «Le noir te va si mal» et d'un recueil de poèmes «Il bleut Toujours après l'Orage». Il nous vient avec un nouveau roman «Les amants de Cordoue», un livre porté sur l'amour et l'émigration clandestine, publié chez les éditions Media-plus. Ibn Hazm, philosophe, théologien, et vizir andalou converti à l'islam, avec ses théories sur l'amour platonique et ses affinités avec les fidèles de l'amour, aurait sûrement saisi la tragédie que représente l'odyssée des Harraga. Un pays qui a vu fuire des hommes de lettres et des jeunes étudiants sur des barques chargées à bloc, et ce vers la destination de son grand pays. Des hommes désespérés et pas tout à fait prêts à mourir par noyade, pour réaliser leur désir furieux de vivre une vie plus saine, et pour retrouver leur amour aussi. Ibn Hazm, aurait aussi compris la nécessité d'évoquer ces frontières qui rendent la vie amoureuse difficile, voire impossible. Une tragédie grecque digne d'Orphée et d'Eurydice, référence peut-être pour ces deux héros du roman «Les amants de Cordoue». Je sais que tu viens pour les harraga. Mais cela ne sert à rien d'écrire sur eux, tout le monde écrit sur les clandestins, si tu veux écrire une histoire faite de chair et de sang et qui a remué les gens, je te raconterais l'histoire d'un harrag qui a brûlé la mer pour l'amour d'une femme.» Ainsi s'entame le roman de Farid Benyoucef «Les amants de Cordoue» avec les mots d'un vieux philosophe originaire de Sétif, immigré clandestin en Espagne depuis longtemps, s'apprêtant à raconter une histoire à un journaliste algérien venu enquêter sur ce phénomène des Harraga. Une histoire mystérieuse, une histoire marquante sur deux amants en quête d'amour et d'un lieu symbolique pour y vivre. Amir et Maria sont les deux amants de ce voyage tumultueux, deux prénoms dont les coeurs et les lettres s'entremêlent. Amir, jeune étudiant en art qui part à Paris pour terminer ses études. Il rencontre une jeune fille, Maria, une Française d'origine algérienne (d'un père harki). Les deux amoureux vivent une belle histoire jusqu'au jour, où le visa d'Amir expire au bout de trois mois et, à partir de ce moment-là, débute toute une série de péripéties. Maria décide de s'envoler pour Cordoue, quant à Amir, avec la certitude de ne pas être expulsé, embarque sur une felouque à partir de Mostaganem pour la rejoindre dans cette cité poétique. Les faits, bien proches d'une réalité souvent surprenante, car bon nombre d'étudiants n'ont pas de quoi se permettre une voie légale de partance. Ainsi donc, le grand fleuve, convoi funèbre long et boueux, avait choisi d'accompagner seul leurs dépouilles pour les déposer dans le grand bleu. Méditerranée! Le berceau de l'humanité était devenu le tombeau de ce petit bout d'humanité. Deux corps fendus en un seul s'étaient drapés d'un aqueux linceul et avaient sombré comme deux jumeaux dans le ventre de la mer. Des mots durs pour saisir l'une des scènes les plus dramatiques de ce roman. Des mots par lesquels l'auteur tente de convoquer à travers ses héros pris au piège, une Histoire rêvée, avec son lot d'imaginaire, sa tranquillité. Des mots qui évoquent aussi la souffrance, d'autant plus que l'Andalousie a disparu sous le piétinement d'une réalité sociale et économique féroce, soit l'Espagne d'aujourd'hui et d'autres réalités tout aussi douloureuses, telle que l'immigration clandestine. Evasion vers l'Andalousie festive. Vers l'Andalousie de l'âge d'or et des jardins lumineux. Telles sont aussi les ambitions du jeune étudiant Amir qui veut retrouver dans l'Espagne actuelle, l'Andalousie de l'époque. Une géographie poétique et mystique, partagée depuis des siècles. Un ailleurs de retrouvailles et d'amour où cohabitaient les trois religions en harmonie. Un roman imprégné de références à la littérature d'Amérique latine et espagnole, Carlos Fuentes, Mario Vargas Llosa, Gabriel Garcia Marquez. L'auteur nous fait presque voyager dans le temps à travers les rêveries d'Amir. Avec le sentiment d'une complexité de la structure de l'oeuvre, l'imbrication de divers éléments qui conduisent à donner tout un contour de la situation, physique, sociale et politique. Un roman où plusieurs voix et histoires se mêlent. Comme un chant damour désespéré, celui de centaines de Harraga noyés ou errants, pour l'amour d'une vie rêvée, d'un lieu émouvant ou d'une aimée à atteindre. Une aventure qui est presque un prétexte, pour dire la turbulence dans le coeur d'un homme à la mer, balancé entre les flots, ne saisissant que l'éloignement d'une terre ferme sublimée. Farid Benyoucef est poète, peintre, écrivain, enseignant d'économie, consultant et chercheur. Né en 1951 à Aïn Oulmène (Sétif), études au Lycée de Sétif jusqu'au Bac, puis à Alger jusqu'à la Licence, ensuite à Denver, Colorado (USA) pour un Master's dégrée en économie.