Curieuse a été la sortie, vendredi, du Premier ministre turc, Recep Tayyp Erdogan. Celui-ci réclamait une réforme du Conseil de sécurité qui aurait, selon lui, manqué d'efficacité face aux «événements de Syrie». Que l'ONU d'une manière générale, le Conseil de sécurité en particulier, ne répondent plus aux besoins de la gouvernance mondiale, cela ne fait aucun doute et nous partageons volontiers les préoccupations de M.Erdogan. D'autant plus que la question des réformes de l'institution internationale est sur la table depuis plusieurs années sans que les «puissants» ne parviennent à trouver un consensus dessinant le futur des Nations unies. Toutefois, lorsque le Premier ministre turc affirme: «S'il faut attendre de savoir ce que vont dire un ou deux membres permanents (du Conseil de sécurité, allusion transparente à la Chine et à la Russie qui eurent à user du veto en rapport avec la Syrie), alors, le destin de la Syrie est vraiment en grand danger» et celui-ci d'ajouter: «Il est temps de changer la structure des institutions internationales, à commencer par le Conseil de sécurité de l'ONU», on peut estimer qu'il y a maldonne. En effet, s'il faut réformer le Conseil de sécurité juste pour pouvoir sanctionner tranquillement la Syrie, il faut dire que M.Erdogan se fourvoie, car, outre un parti pris flagrant dans la crise syrienne (la Turquie n'est pas pour peu dans son aggravation par son soutien à la rébellion syrienne), il fait montre d'une modestie mal à propos en appuyant son argument sur le seul cas syrien. En fait, le chef du gouvernement turc place son pays (membre de l'Otan) parmi les pays donneurs d'ordres et de leçons. Or, nous n'avons pas ouïe dire que le Premier ministre turc s'est inquiété outre mesure du fait que les Etats-Unis aient usé à plus de 60 reprises du veto dans le dossier proche-oriental pour protéger Israël et lui assurer l'impunité internationale. Washington menace même l'Autorité palestinienne de lui supprimer son aide et d'empêcher l'admission de la Palestine à l'ONU, en tant qu'Etat observateur non-membre de l'organisation, et sa reconnaissance par la communauté internationale. On n'a point entendu M.Erdogan s'élever contre la propension qu'avaient les Etats-Unis à détourner la Charte des Nations unies de ses objectifs premiers: la paix, la sécurité et la concorde entre les nations. La Turquie n'a ni protesté, ni demandé la réforme de l'ONU lorsque le Conseil de sécurité s'est suffi d'appeler à la retenue dans l'affaire de la flottille d'aide humanitaire à Ghaza attaquée par un commando israélien, quand il fallait condamner ce qui apparaissait comme un crime de guerre. Ankara n'a pas non plus menacé d'attaquer Tel-Aviv ou rompre ses relations diplomatiques avec Israël. Autre anomalie: Ankara a de bonnes relations avec l'Etat autonome kurde d'Irak, mais refuse à ses propres Kurdes l'émancipation qu'ils réclament. C'est vrai qu'il existe des étrangetés qui interpellent, auraient dû interpeller la conscience internationale, lorsque l'on constate qu'il y a bel et bien des droits de l'homme à deux vitesses, des pays du premier et du second collège, fondement de toutes les colonisations et de tous les apartheids. Sinon, comment comprendre que des puissances qui reconnaissent la proclamation unilatérale de l'Etat d'Israël, hier, refusent que la Palestine en fasse autant aujourd'hui; qui admettent cette même liberté pour le Kosovo et la contestent pour le Sahara occidental; qui ont contribué à détacher le Kurdistan irakien de l'Irak mais s'opposent à ce qu'il en soit de même pour le Kurdistan turc... C'est là quelques-uns des cas parmi des centaines dans le monde. Et effectivement, de ce point de vue, l'ONU et son Conseil de sécurité sont très loin des objectifs que leur a assignés la Charte fondatrice de l'ONU, qui doit être changée. Il en est de même pour la chef de la diplomatie américaine qui parle d'amoralité à propos de la position de la Russie sur la crise syrienne. En effet, si le département d'Etat US admet que Moscou n'a violé aucun embargo, il estime en revanche que la politique russe à l'égard de la Syrie «était dépourvue de moralité». La politique américaine envers Israël - aide militaire, les armes américaines tuent des milliers de Palestiniens, financière, veto au Conseil de sécurité assurant l'impunité pour Israël - est-elle morale? Faut-il parler de morale lorsque le monde est, en fait, conduit par la loi du plus fort?