«Je vois en la calligraphie une belle femme à qui je me dois de rendre hommage» Calligraphe et amateur de Street art, Hidouche Abdelghani est un jeune talent qui subjugue par l'authenticité et la pertinence de son art, il est aussi ambivalent que le yin et le yang, plein dénergie et d'ambition. L'artiste béjaoui a été au coeur des convoitises lors de la 5e édition du Salon d'automne organisé à la galerie Baya par les soins du Palais de la culture avec des oeuvres qui évoquent toute une recherche et une volonté de proposer un trait inédit dans le langage calligraphique et urbain. L'Expression: Comment en êtes-vous arrivé M.Hidouche Abdelghani à vous exprimer dans votre art? Hidouche Abdelghani: C'est un concours de hasard, à mes débuts je m'amusais à dessiner les chaussures que je rêvais de porter un jour. J'étais assez Street (Ndlr- Art urbain) dans mon art tel que les tags et les graffitis, tout en écoutant du rap engagé tel que NTM, Assassins...etc. Puis j'ai découvert une musique plus sage, plus tranquille, avec des instruments à cordes qui m'ont imprégné dans ma façon de mouvoir le trait de mon crayon. Une façon qui m'a amené à donner une certaine fluidité à mes lignes. La musique joue un rôle très important dans mon travail et mon état d'esprit puise en elle, depuis, mon art connaît aussi bien la révolte que l'équilibre. Sinon, j'ai toujours trouvé que la calligraphie est un art magique et sensuel avec lequel mon désir de mieux peser et assagir mes réflexions. Kenza, Asmaa, Amira. Pourquoi avoir choisi de vous illustrer sur des noms féminins? Une façon de sacraliser les lettres qui fleurissent en leurs noms? Pour les prénoms féminins c'est tout simplement parce que je vois en la calligraphie une belle femme à qui je me dois de lui rendre hommage, sur «Asmaa» je voulais dire «Prénoms» au pluriel et je voulais qu'il regroupe toute les femmes en général et maghrébines en particulier. Quant à «Kenza» c'est tout simplement pour dire que la femme est un trésor et j'ai une pensée particulière à la fille de Tahar Djaout et d'ailleurs si je devais mettre une bande son au tableau «Kenza» ça serait sans conteste, la chanson Kenza du défunt Matoub Lounès. Mais j'évoque aussi des femmes poétesses ou simples paysannes, berbères, arabes ou occidentales, certaines que j'ai connues et d'autres que j'ai sublimées. Mais c'est aussi ce don d'amour inouï qu'elles ont en commun. Vous mêlez également des signes berbères, des formules d'art urbain en plus des caractères soignés dans l'art de la calligraphie, ne vouliez-vous pas vous épanouir parmi ces expressions sans avoir à les fusionner? Je suis tenté par les expériences de la fusion, du mélange des expressions et des symboles. Pour les motifs berbères, c'était tout simplement une curiosité, je voulais comprendre ce que ça voulait dire et d'après une petite recherche que j'ai faite, j'ai trouvé que ces motifs contenaient un message légué par nos grands-mères et nos arrières grands- mères et de par ces motifs elles exprimaient leur malheur et désarroi et c'était un moyen de communication entre-elles. Ce qui tombait à point, étant donné que je voulais rendre hommage à la femme berbère aussi, puis j'ai commencé a intégré ces motifs dans mes calligraphies sur un fond d'art urbain. Je ne travaille pas avec les lois de la calligraphie, je m'épanouis en toute liberté, d'autant plus que je vois en cette fusion des expressions, une magie inégale et moi je ne peux me cantonner dans un seul langage artistique en laissant filer des expériences plus enrichissantes. ça serait renier l'amour que je porte à l'art que je fais. Vous avez aussi évoqué l'exposition de vos oeuvres où un artiste vous aurait interpellé sur leur aspect blasphématoire parce que selon lui, l'art de la calligraphie doit se résigner au simple outil liturgique et ornemental des caractères divins. Pouvez-vous nous parler de cette malheureuse confrontation? En fait, ça s'est passé en décembre de l'année dernière où j'ai exposé dans le cadre d'une conférence sur les femmes actives, dont un des visiteurs qui était marocain m'a interpellé en me disant que la calligraphie que je faisais était une atteinte à l'art de la calligraphie et son message religieux. Il m'a fait savoir que ce que je faisais était indigne vis-à-vis des calligraphes de renoms qui travaillent avec une certaine rigueur. La remarque m'a forgé encore plus et tant mieux si mon art semble aussi à contre-courant, du moins, il ne porte pas forcément une atteinte à la religion, au contraire, il demeure conforme et respectueux du don de la lettre. Toutefois, je me félicite de progresser dans un cheminement original dans l'art de la calligraphie et avec des aspirations qui ne sont pas mauvaises. J'ai essayé de trouver un ton particulier à mon travail sans nier les grands classiques et les grandes oeuvres de mes prédécesseurs dans ce domaine, a commencer par M. Bouthlidja (c'est le seul que je connaisse) et j'aime vraiment ce qu'il fait, d'ailleurs j'aimerais le rencontrer un jour afin qu'il me confie son avis sur mon travail. Quelles sont vos influences? Vous avez parlé d'El Seed? Je tiens pour influence, Bouthlidja comme je l'ai déjà mentionné, et M. Hamsi Boubeker qui travaille beaucoup sur le motif berbère et qui a fait voyager notre culture amazighe et berbère aux 4 coins du monde. Il y a effectivement, El Seed, un artiste tunisien qui combine parfaitement entre le graffiti et la calligraphie et j'ai déjà eu la chance de l'avoir par téléphone. J'espère un jour le rencontrer et travailler sur une oeuvre commune. C'est un artiste talentueux, tant par son engagement que par la qualité de son travail, il impose d'ailleurs ses grandes fresques calligraphiques sur les murs de Tunis, à New York, en passant par Paris et je respecte beaucoup ce qu'il fait et au-delà de son oeuvre c'est quelqu'un d'humble. Est-ce qu'il y a des idées de collectifs visant à défendre ces expressions artistiques de la calligraphie et du Street art en Algérie et à Béjaïa plus spécifiquement? Sinon, pensez-vous que c'est possible? Pour le Street art je pense que oui parce qu'il y a de plus en plus de collectifs de tagueurs qui se créent sur le terrain ou sur les réseaux sociaux. Je sens qu'il y a vraiment une ébullition à ce niveau, une belle cohésion entre eux et ils s'aident du mieux qu'ils peuvent. D'ailleurs un festival de l'art urbain s'est tenu les jours passés à Béjaïa et dommage, l'information était tombée tardivement sinon j'aurais aimé y participer. Pour la calligraphie, je ne sais pas, j'ai toujours été autonome, donc m'intégrer dans un collectif ou une association me paraît un peu dur. Mais je pense que dans un futur proche, le phénomène des collectifs se multipliera et je n'adhérerais personnellement que si vraiment l'ensemble des artistes pensent au pluriel et à une vraie démarche artistique et non forcément lucrative. J'aimerais bien me lancer sur ce terrain mais j'attends toujours le bon moment et surtout préparer le terrain et une bonne structure pour durer et promouvoir le jeune talent et le talent urbain surtout.