«Qu'est-ce qu'une oeuvre originale? Un plagiat pas encore détecté.» William Inge Mon ami B... me jeta un regard désolé, puis, après une courte réflexion.: «Tu sais? cela ne te coûte rien d'essayer. Il faut te jeter à l'eau. Je pense que cela fera plaisir à tous ces anonymes qui lisent tes chroniques et qui essaient de mettre un visage sur un nom aussi banal. Tu as vécu assez longtemps pour avoir accumulé des expériences. Et puis, sincèrement, je ne reçois que des échos favorables de la part de ceux qui lisent tes chroniques. Et puis, au fait je me suis souvent demandé pourquoi tu as choisi un nom qui renvoie à une autre région que la tienne?» «C'est une longue histoire. Et c'est aussi pour dire que je suis de toutes les régions. Tu sais, dans notre pays, les lecteurs perdent toute objectivité quand ils savent d'où tu viens. Et à plus forte raison si je déclarais mon lieu de naissance: tous les regards se braqueraient et on chercherait à savoir ce que j'ai voulu dire. Le baâthisme a fait des ravages. Quand j'avais écrit mes blagues sous le pseudonyme de Kurzas, un Premier ministre a voulu savoir d'où j'avais pêché ce nom aussi rare sous nos latitudes! Quand je lui en ai donné l'origine, il n'a pas voulu me croire. Pour en revenir à l'écriture d'un roman, je pense que c'est au-dessus de mes forces. Pour écrire un roman, il faut avoir du souffle. Je ne suis pas du genre à 'vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage''. Quand ça vient, ça vient, et quand ça ne veut pas venir, ça ne vient pas. Il ne faut pas forcer la nature. Et puis quand on se met dans la tête d'écrire quelque chose, il faut avoir quelque chose d'intéressant à dire, quelque chose de nouveau. Il faut avoir une vision globale du monde et aussi connaître des tout petits détails qui sont susceptibles d'intéresser le lecteur. Il faut avoir des vérités à rétablir. Et surtout, il ne faut pas plagier, copier, même inconsciemment un des auteurs qui ont fait la gloire des Lettres françaises. J'ai vécu une expérience qui m'a complètement découragé alors que je rêvais déjà d'être écrivain quand j'étais au lycée. J'étais ce qu'on pouvait appeler un bon élève en français. J'avais une très bonne mémoire et je retenais facilement les formules qui font mouche. Un jour, notre professeur de français nous avait demandé de rédiger un texte sur le travail d'un artisan. C'était du pain bénit pour moi: je n'avais à faire aucun effort d'imagination pour la simple raison que j'avais un oncle qui était forgeron. Il avait pris la succession de mon grand-père et était devenu le seul forgeron du village. Il m'était arrivé de passer des journées avec lui, soit parce que je n'avais rien à faire, soit quand il me demandait de lui actionner le soufflet quand il était fatigué. J'aimais par-dessus tout assister aux séances de ferrage des ânes et des mulets. C'était assez spectaculaire et j'aimais sentir l'odeur de la corne brûlée quand il appliquait le fer rougi sur le sabot de la bête. Donc, j'avais décrit dans ma rédaction l'opération précise qu'effectuait mon oncle quand il devait réparer une pioche ou une hache ou un soc qui s'était rompu à l'ouvrage. Il chauffait à blanc les deux morceaux brisés et les unissait après avec une sorte de pièce métallique et malléable qu'il appelait: la soudure autogène. Ayant fait les descriptions comme il le fallait, j'avais conclu en poussant un cri d'admiration: 'Pour moi, c'était un sorcier!''. La professeure m'accusa aussitôt d'avoir plagié M.Genevoix qui avait écrit Raboliot. J'eus beau protester, jurer que je n'avais jamais lu Raboliot. En vain. La prof ne m'a pas cru. J'en conclus qu'elle était raciste. Et à cause d'elle, je n'ai jamais eu le courage de lire Raboliot.»