Un journaliste qui ne vit que pour son métier Il a dédié le prix Omar Ourtilani que lui a attribué le journal Al Khabar, à «l'amitié algéro-française». L'ancien directeur de la rédaction du journal français Le Monde et cofondateur du journal on line Mediapart a séduit hier, lors d'une conférence-débat qu'il a animé à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information (Ensjsi). Devant un auditoire majoritairement composé de jeunes étudiants en journalisme, Edwy Plenel a étalé ses talents de pédagogue pour exposer la fonction de journaliste et sa mission première au sein de la société. «La fonction de journaliste existe parce que la démocratie a besoin de vérités factuelles c'est-à-dire d'informations fiables: comment voter, choisir, militer s'engager etc...», a indiqué M.Plenel récusant l'idée selon laquelle le journalisme c'est d'abord l'opinion, le jugement, le point de vue, le commentaire, l'éditorial et la chronique. L'éternel sourire au coin de la moustache, le regard vif et alerte, Edwy Plenel va léger, ironique, mais impitoyable quand il s'agit des règles fondamentales qui guident la pratique de son métier, car il appartient à cette génération de journalistes chez qui la notion de rigueur et de sérieux ne sont pas encore devenus du folklore. Pour lui, le journaliste n'a qu'une seule compétence, celle de rapporter des vérités factuelles. Cette fonction essentielle le situe au coeur du jeu démocratique. «Entendons-nous bien», dit-il, «il ne s'agit pas de rapporter des vérités absolues, mais toutes les petites vérités de fait sans lesquelles il ne saurait y avoir de monde commun. Toutes les vérités concrètes, momentanées, précises et circonscrites dont la production renvoie à l'artisanat du métier: chercher, trouver sourcer, vérifier recouper, contextualiser et historiciser...» Evidemment, ces vérités suscitent en retour des vérités d'opinion et d'analyse qui tissent les mailles d'une conversation démocratique. Soigneux, précautionneux, maniaque du détail et de la précision. «Notre première discipline envers le citoyen est la vérification», insiste-t-il et rappelle à son auditoire que «notre métier de journaliste nécessite que nous soyons exigeants envers nous-mêmes car cette liberté que nous revendiquons ne nous appartient pas: elle est au service d'un idéal qui nous dépasse, la Démocratie». Modeste, simple et affable, Edwy Plenel est un journaliste qui dérange et gêne dans son pays. Planté au coeur du journalisme français comme une flèche de bois précieux, il revendique avec joie et honneur son statut de chien de garde. S'il ne porte pas sur son front la mention chien méchant, il rappelle cette évidence selon laquelle «un chien de garde n'est pas toujours sympathique. Il peut avoir de la bave à la gueule, montrer les crocs, aboyer jusqu'à réveiller tout le quartier», avertit-il avant de lâcher la terrible sentence: «Mais c'est préférable au silence, au grand sommeil.» Passionné, M.Plenel capte son auditoire par sa sincérité. Interpellé sur l'Algérie où il a fait ses études secondaires et entamé son cycle universitaire, il rappelle que «par son courage, sa détermination et ses souffrances, l'Algérie a fait de moi ce que je suis». Il ajoute: «Il y a une partie de la France qui croit à tout cela. Il n' y a pas que les Gérard Languet et des Le Pen». C'est d'ailleurs dans le même ordre d'idées qu'il a dédié le prix Omar Ourtilani que lui a attribué le journal Al Khabar, l'avant- veille, à «l'amitié algéro-française». Si l'essentiel de sa conférence a porté sur la fonction sociale du journaliste, M. Plenel a consacré une partie de son intervention à la révolution médiatique qui se met en place. Cela inquiète-t-il le journaliste Plenel? «Au contraire, c'est une bonne nouvelle», rétorque-t-il, lui le fondateur de Médiapart. Il jubile avec l'événement du média individuel, personnel et participatif. «En détrônant le journaliste du commentaire, c'est une invitation à revenir à l'essence du métier: l'information, l'enquête et l'investigation, le terrain», souligne-t-il avant d'affirmer que Médiapart est un laboratoire, un atelier d'expérimentation, mais dont le chiffre d'affaires est de 6 millions d'euros pour cette année 2012.