«La Tunisie a été élevée avec la cause palestinienne, nous avons grandi avec, étudiants, nous organisions beaucoup de manifestations en sa faveur. C'est une cause qui nous touche...» d'après le réalisateur Chawki Mejri. Un même sujet. L'un, un documentaire des plus poignants, signé par le Marocain Nabil Ayouche et le second, une fiction réalisée par le Tunisien Chawki Mejri ont été projetée mardi dernier. Ici et maintenant, la Palestine est plus que jamais un sujet brûlant tant elle fait encore, hélas la une des journaux du monde entier. L'ironie du sort a voulu que les Journées cinématographiques de Carthage qui se tiennent depuis le 16 et ce, jusqu'au 24 novembre, lui consacrent une place de choix dans sa programmation, notamment à travers deux films des plus singuliers. L'un, un documentaire des plus poignants, signé par le Marocain Nabil Ayouche et le second une fiction, réalisée par le Tunisien Chawki Mejri. Né d'un père musulman et d'une mère juive, Nabil Ayouch, élevé à Sarcelles, a sans doute voulu à travers son film documentaire trouver des réponses à ses propres questionnements, d'abord en se confrontant sur le terrain avec les démons du conflit israélo-palestinien qui ont troublé sans doute sa jeunesse. Tourné au Proche-Orient, My land donne la parole à de vieux Palestiniens réfugiés dans des camps au Liban, et confrontent leur mémoire à de jeunes Israéliens vivant aujourd'hui sur leurs terres. Le film donne ainsi à voir et à ressentir surtout un terrible conflit générationnel entre les deux camps. Si pour la plupart de ces jeunes, nés et grandi sur cette terre israélienne, les Palestiniens doivent tourner la page au lieu de rester arc-boutés sur le passé en le ressassant sans cesse et «jouer aux victimes», pour les Palestiniens expropriées et obligés de s'exiler, c'est plus qu'une question de confort et de bien-être, mais d'identité spoliée et de dignité bafouée. La voix de la sagesse viendra pourtant de cette jeune femme juive qui plaidera pour le vivre-ensemble, soulignant que cette «terre» est grande et peut accueillir les deux communautés. «L'étroitesse est dans les coeurs seulement» dira-t-elle et un autre de faire remarquer avec regret et un fort pincement au coeur «il m'est difficile d'accepter que quelqu'un puisse sacrifier sa vie pour que je vive dans ce paradis...». Une gêne ressentie et un silence méditatif ponctuent à chaque fois ces témoignages. «D'un côté, une mémoire figée, comme si le temps s'était suspendu, de l'autre, une histoire ignorée, oubliée» résume le réalisateur. Abordé sous un angle avant tout humain, My land cristallise le conflit israélo-palestinien à travers un double regard des plus percutants sans pour autant juger. En fin intervieweur qu'il est, le réalisateur pèse le pour et le contre, sans tomber dans le manichéisme primaire et c'est là où réside la force du film. Ces témoignages sans concession, sont déclinés avec sérénité. Tout est dit ou presque. My land souligne l'attachement viscéral à cette terre, des deux côtés des protagonistes. Où est la solution donc? Le hors champ que cache l'image figée est d'une frappe saisissante. Ça vous laisse K.-O. Et c'est notre imagination qui fait le reste. Pas d'images de guerre ou de bombardements qui sont montrées, mais des témoignages sensés, réalistes, parfois dramatiques, démentiels ou purement égoïstes, teintés de mépris ou d'assurance (c'est selon) surtout venant du côté israélien, qui dénotent d'une méconnaissance certaine de la part de la nouvelle génération israélienne un peu frivole. Pour info, My land a été doublement couronné au Festival du film de Tanger, en janvier 2011 (Prix du montage et de la musique). Il a également remporté deux autres prix, celui du «Coup de coeur» du public à la 6e édition du Festival de cinéma et celui de la «presse» au Festival du film arabe de Fameck. Le second film consacré à la Palestine est une production tuniso-égyptienne- syro- polonaise! Le réalisateur a dû sans doute batailler pour arriver au bout de son film. Installé en Syrie, notre diplômé de l'Ecole de cinéma et de théâtre de Lotz (Pologne) a, à son actif, une dizaine de feuilletons pour la télé. Et cela s'en ressent quelque part. L'image est sans fioriture, nickel et les dialogues soignés comme du papier à musique, rappelant trop le côté emphatique du mélodrame oriental et l'aspect sirupeux des séries télé, mais le sujet l'emporte largement bien que l'esthétisme est d'une préciosité impeccable. Le Royaume des fourmis, le titre du film est d'abord un long métrage basé beaucoup plus sur la métaphore, choix d'emblée assumé par le réalisateur. Truffé de symboles (lune, cheval, colombe, grotte) cela déréalise quelque peu le propos du film qui revient de plein fouet avec ces séquences de confrontation et de combat avec l'armée israélienne, qui rappellent avec justesse, à cet instant-là, les reportages des JT. Ces images tournées à la manière d'un docu, forcent le respect, telles ces attaques en char, hélicoptère ou encore ces jets de pierre lancés par les enfants que l'on garde tous en mémoire. La séquence de bombardement de cette école marque l'esprit. L'histoire est celle d'un amour interrompu à cause de la guerre, un fidaï pourchassé et ces éternels martyrs. Face à l'ignominie de la guerre, vient la douceur d'une mère à son fils ou encore ces légendes racontées par ce grand-père, gardien d'un refuge sanctuaire où le couple phare du film dût s' y réfugier durant des mois. Bien que tragique à souhait, surtout le personnage féminin, Le Royaume des fourmis ne raconte pas seulement le dépit et l'apocalypse, mais aussi les rêves et les espoirs d'un peuple debout, qui ne s'éteindra jamais mais persévérera dans sa lutte et combat, coûte que coûte... comme des petites fourmis soldats... A l'instar de My land, la question du retour (en Palestine) est plus que présente, s'ajoute à cela le problème de l'ensevelissement des morts. C'est en Syrie, plus exactement à Lattaquié, et d'autres régions du Nord, qui a accueilli l'équipe du film pendant les cinq premières semaines du tournage. Un choix dicté par les similitudes entre ces décors naturels et les territoires occupés où les événements du film étaient supposés se dérouler. «La Tunisie a été élevée avec la cause palestinienne, nous avons grandi avec, étudiants, nous organisions beaucoup de manifestations en sa faveur. C'est une cause qui nous touche. Je suis Tunisien mais Arabe avant tout. Le sujet n'est pas nouveau pour les Tunisiens. Ce qui est nouveau est la proposition artistique. Au final, ce n'est pas un tract politique, mais une proposition artistique avec des approches esthétiques, philosophiques et politiques. Le film est plus dans la métaphore que dans la symbolique. Le côté documentaire, oui c'est un parti pris pour contraster entre le monde, que les personnages ont essayé de créer à l'intérieur de la terre et le monde très agressif qui est à l'extérieur.» Nous a confié le réalisateur. Notons que ce long métrage a bénéficié, tout au long de sa projection, de l'encouragement vif du public qui n'a cessé de l'applaudir à chaque réplique décisive.