«Nous regardons dans les signes comme regardent les poètes dans les symboles», nous fait remarquer Yasmina Khadra, en évoquant Bejaïa,... La poésie est encore de ce monde, Dieu merci! - engagée par les grands auteurs qui aiment leur pays, elle devient éminemment conscience humaine et reflet de vie intérieure. Paru en ce cinquantenaire de l'indépendance de notre pays, le bel ouvrage intitulé Algérie (*) est un hymne éclatant et serein, plein d'une poésie au relief retentissant, fidèle au passé et à l'actualité. Il est conçu conjointement par Yasmina Khadra (né à Kenadsa, 1955), notre talentueux écrivain, internationalement connu - ici, doux poète amoureux de l'Algérie, sa Terre Maternelle - et son ami Reza Deghati (né à Tabriz, 1952), iranien, humaniste, célèbre photographe reporter (en l'occurrence, photographe culturel), un précieux complice à l'oeil objectif d'une rare et esthétique vérité. Son art est constant, producteur d'images significatives en quelque lieu qu'elles surgissent, ce ne sont pas des cartes postales pour les touristes mais des instantanées de vies et de réflexions, témoins des réalités têtues et émouvantes d'un peuple et d'un pays: «Le monde est mon champ de vision, explique-t-il De la guerre à la paix, mes images se veulent des témoignages de notre humanité sur les routes du monde.» Il ajoute en hommage à l'Algérie: «Au fil des mois passés en Algérie, j'ai découvert un pays d'une beauté et d'une diversité de paysages insoupçonnés, mais aussi, et surtout, un peuple d'une profondeur et d'une générosité qui m'ont bouleversé. On découvre un pays par les sens et on apprend à le connaître par son peuple.» L'équipe impeccable - écrivain, photographe, éditeur (Michel Lafon, l'initiateur du projet),... - est ainsi formée, et nous avons de plus, en Algérie, un distributeur Edif 2000 (Mohamed Boilattabi et Madani Mokrane), parmi les plus diligents, tout au service des lecteurs algériens. Dans son Algérie revisitée, Yasmina Khadra ne manque pas surtout de se rappeler, en prenant «un de ces ascenseurs que l'on prend au hasard comme on prend un chemin pour aller à la découverte de soi», son fin et attachant «alter égo», son personnage Brahim Llob, commissaire atypique à Alger, natif de Bejaïa, à la carrière mirifique et pourtant si intensément réaliste aussi. Ce Llob hante encore son créateur à qui, à travers ses multiples enquêtes policières, il a appris la leçon de la souffrance humaine et le sens de la tolérance extrême. Tout comme Yasmina Khadra, ce Llob des tout premiers romans noirs (Morituri, Double blanc, L'Automne des chimères) a aimé son pays, peut-être trop fort et avec ostentation, contrairement à ses semblables, dans les pires moments de ses souffrances subies pendant la décennie tragique, dont il dit ailleurs: «Mon Algérie à moi, elle saigne de partout, elle a des plaies innommables au ventre, au coeur, à la tête. Alors quand je m'arrête un peu pour regarder et pour raconter, j'ai plus tout à fait le coeur aux conventionnelles délicatesses.» C'est là une mémoire et une intelligence; c'est un homme qui parle et qui parle, instruit des souvenirs de l'auteur, - l'Algérie servant, à celui-ci, de pivot à toutes ses espérances. Ainsi, devrions-nous comprendre que lorsque l'on aime son pays, il n'est rien dans le coeur, et même dans la raison, qui puisse infléchir les sursauts de fidélité de l'âme qui se sent redevable de sa vie au giron d'amour maternel dans lequel elle est chue. «J'aime mon pays, a souvent clamé Yasmina Khadra, comme s'accroche à son épave un naufragé molesté par une mer démontée. On a beau dire, beau médire de lui, je m'interdis de le croire perdu. Pour moi, un rivage est toujours possible. Il suffit de tenir jusqu'au bout.» L'invite à entrer dans leur Beau-Livre Algérie est, par la forme et l'esprit, digne des plus belles traditions de l'hospitalité algérienne, qu'elles soient citadines ou rurales, celles du riche comme celles du pauvre, c'est-à-dire, de même que Yasmina Khadra l'écrit très justement et tout bellement: «L'Algérie ne se raconte pas, elle se vit. Elle est la vestale des grands et des petits, l'égérie des poètes et des simples d'esprit, la folie des foules et le dernier refuge des sans-abri. Elle est ce qui reste lorsque tout a été dit, la cendre des phénix trahis, le galet dans les rivières taries. Elle est la dernière prière, le voeu le plus cher, la chair de notre chair, elle est le pouls de l'éternité.» La lettre d'invitation au «voyage» est aussi belle introduction que chaleureuse embrassade d'accueil, simple ou double, insistante, au rythme de la sincérité du coeur algérien, celui de la Casbah, celui de l'Oasis et du Grand Erg, celui de Sidi-Rached, celui de la Cité El Bahia, La Resplendissante, celui de Sidi Boumediene,... enfin celui de chaque arpent de terre algérienne et qui bat et qui bat... Le sommaire de la destination Algérie propose, plus qu'une escapade, des étapes de séjours libres à travers le pays tout jalonné de repères d'histoire et de culture et de scènes expressives ou pittoresques de la vie quotidienne. Yasmina Khadra se raconte par des mots à la hauteur de ce qui lui est cher, et des extraits brillants de quelques-unes de ses oeuvres littéraires confirment, sous l'effet d'une prodigieuse intertextualité, la constance de son amour pour son pays. Et l'on est emporté par quelque charme, pris que l'on est dans le tourbillon émerveillant d'écriture poétique, riche en symboles et en allusions vers la réalité qu'il décrit et que fidèlement reproduisent les photos de Reza. Défile ainsi donc dans son esthétique concrète une rêverie construite: des souvenirs d'enfance, des contes vrais de la vie tout court, les premières rencontres avec l'Algérie et «Qui est al-Djazaïr?». Et voici le circuit culturel, historique, sociologique: - Alger (Salamandre, «On l'appelle Alger la Blanche. Blanche parce que sans rancune.»). - Le Nord-Ouest (Oran, chez qui «celui qui croit fasciner se donne en spectacle», Kristel, Rio Salado, Mascara, Tlemcen). - La Kabylie (Bejaïa, Les trois chantantes, Sétif, Batna, Tizi Ouzou, «Je suis berbère parce que je le demeure», Azazga, Zahara, Constantine «et ses femmes-hirondelles qui annoncent le printemps à chaque nouvelle saison». - Le Grand Sud (La vallée du M'Zab, «Né aux portes du Grand Sahara au sein d'une tribu de poètes et de guerriers intrépides, j'étais un petit prince aux pieds nus», Tamanrasset, «Je m'appelle Wadigazen, et quand je m'entends vivre, je deviens plus ardent que l'harmattan», Timimoun «Le prophète est né à La Mecque, mais c'est à Timimoun qu'il ressuscite chaque année». Et c'est là que l'on arrive et là, toujours et partout, que des lieux d'existence aux milliers de milliers de «découvertes fortuites» enrichissent les consciences, adoucissent les humeurs et apaisent les esprits, car l'humanité finalement, et c'est vrai, est une longue suite de vies différentes et chacune d'elles a nécessairement une âme, un coeur et la raison de ses actions. «J'ai choisi d'écrire pour assouvir ma faim de l'Algérie.», nous murmure encore Yasmina Khadra, et nous ne cessons de lire - plutôt d'entendre - ses paroles sublimes, car familières à notre sensibilité et nous nous laissons envoûter par de superbes photos en couleurs, inattendues, et cependant naturellement pleines de grâce, car elles sont authentiques. Certains pourraient dire que dans ce livre Algérie de Yasmina Khadra et Reza, la rêverie n'est pas indiscrète, peut-être, mais l'imagination intelligente donne la vie aux images les plus simples et les magnifie, et c'est là que se forme la toute première espérance de l'homme droit et vivant. Que chacun de nous chante l'Algérie, même impuissant, même affaibli, même mourant! Chanter pour chanter pour s'entendre chanter, pour qu'un chant pareil au nôtre quelque part sur terre, nous revienne comme un bien tellement attendu, comme un rêve réalisé: nous vivons pour nous faire connaître et reconnaître, pour révéler aux sourds et aux aveugles que les Algériens sont tous fiers de l'être et s'offrent aux Autres comme Âme soeur pour tout avenir de pensée juste, capable d'apaiser le coeur humain. «L'Algérie ne se raconte pas, elle se vit. Il ne vous reste qu'à boucler vos valises», nous avertit Yasmina Khadra dans son Algérie. Il a raison, suivons le guide de Lucia, cette «lumière» présente qui anime la mémoire intime et à laquelle s'adresse l'auteur. (*) Algérie de Yasmina Khadra (auteur) - Reza (photographe), Beau-Livre (broché), format (34x29) cm, Editions Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine, 2012, 208 pages. (Distribué par Edif 2000, Alger)