Dans sa quête des bonnes grâces de l'Occident, le leader libyen ne sait plus quoi faire pour prouver sa rédemption. D'un extrémisme à l'autre, c'est l'impression que donne aujourd'hui une Libye qui ne sait plus quoi faire pour entrer dans les bonnes grâces de l'Occident. Son abandon de son programme d'armes de destruction massive (ADM) ne semblant pas suffire, le Guide libyen se dit maintenant prêt à conclure la paix avec l'ennemi d'hier, l'Etat hébreu. Certes, seuls les imbéciles ne changent pas, affirme l'adage, mais encore faut-il observer qu'il y a des marges et des limites au renoncement, sinon à la souveraineté, du moins à des principes qui ont guidé, durant plus de trois décennies, la politique extérieure et de défense de la Libye. Aussi, il y a comme un relent de mauvais aloi à l'effeuillage que semble effectuer actuellement le maître de Tripoli dans le souci de plaire aux ennemis d'hier et de desserrer l'étau imposé par Washington et la communauté internationale. Certes, la fin lamentable du dictateur irakien, Saddam Hussein, a été prise - sans doute à juste raison par le colonel El Gueddafi - comme un avertissement sans frais, d'autant qu'il a été démontré que les décisions prises par les Etats-Unis ont dans le monde d'aujourd'hui force de loi. Dès lors, la Libye créa-t-elle la surprise générale, le 19 décembre dernier, par l'annonce de l'abandon de son programme de recherche sur les armes de destruction massive. Abandon, indique-t-on, issu de neuf mois de négociations de Tripoli avec Washington et Londres dans la foulée de l'affaire de Lockerbie et de l'indemnisation des victimes du crash de l'avion de la Pan Am. Une indemnisation faramineuse qui s'élève à plusieurs millards de dollars. Toutefois, ces gestes de rachat n'ont pas donné leur mesure puisque le président Bush a, mardi dernier, prolongé les sanctions frappant la Libye sans cependant indiquer leur durée, qui est généralement d'une année renouvelable, au moment où le Guide libyen espérait voir ces sanctions, appliquées depuis le 7 janvier 1986, enfin levées. De fait, annonçant le prolongement des sanctions contre la Libye, le président Bush a indiqué : «La crise entre les Etats-Unis et la Libye qui a conduit aux sanctions le 7 janvier 1986 n'est pas complètement réglée, bien qu'il y ait eu des avancées positives.» Le président américain soulignant que «l'accord avec la Libye marque le début d'un processus de retour au sein de la communauté des nations, mais sa déclaration du 19 décembre 2003 doit être suivie de mesures concrètes vérifiables». Quelles sont ces mesures, outre un démantèlement contrôlable des ADM libyennes? Des sources proches du dossier libyen affirment que l'une des clauses, des négociations de la Libye avec les Etats-Unis et la Grande Bretagne, n'était rien d'autre que la normalisation des relations entre Tripoli et Tel-Aviv. De fait, beaucoup de bruits ont circulé ces derniers mois sur des discussions informelles entre responsables libyens et israéliens à divers niveaux, notamment à Vienne en Autriche. Discussions confirmées hier par un haut fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères qui a indiqué qu'Israël déploie des efforts pour établir des relations diplomatiques avec la Libye et d'autres pays arabes ne confirmant ni ne démentant cependant la rencontre secrète qui aurait eu lieu entre un haut fonctionnaire de ce ministère et un responsable libyen la semaine dernière à Paris. Dans cet appel du pied de Tripoli en direction d'Israël, El Gueddafi aurait autorisé, lors d'un discours devant le Congrès populaire général pour la sécurité et la justice libyen, les citoyens libyens à voyager en Israël - s'ils obtiennent des visas de ce pays - et s'est dit prêt à envisager une indemnisation des juifs israéliens originaires de la Libye, ayant quitté ce pays volontairement ou sous la contrainte. De fait, une députée israélienne, membre du Likoud, le parti de Sharon, Gila Gamliel a appelé, lundi, Maâmar El Gueddafi à permettre aux juifs libyens de visiter le pays de leurs ancêtres. «Je vous demande de prendre une décision historique et de suivre l'exemple du Maroc, conforme à la longue tradition de coexistence des juifs et des musulmans d'Afrique du Nord, en permettant aux Israéliens originaires de la Libye d'effectuer un pèlerinage dans leur pays d'origine.» Ces deux déclarations sont par trop concomitantes pour être une coïncidence. Il reste que le Guide libyen se déploie tous azimuts pour faire oublier le passé d'Etat «voyou», dixit George W.Bush, de la Libye sous sa direction, la plus longue dictature comptabilisée en Afrique. La Libye suivra-t-elle les traces de la Mauritanie, seul pays maghrébin entretenant des relations diplomatiques avec Israël, El Gueddafi vouant alors Nouakchott aux gémonies pas plus tard que l'an dernier? Signalons que le Maroc et la Tunisie qui avaient ouvert des bureaux de liaison avec Israël les ont gelés depuis le début de l'Intifada palestinienne en septembre 2000. Il est bon cependant de noter ici que l'Algérie a toujours affirmé ne pas voir d'inconvénient à avoir des relations avec Tel-Aviv dès lors que l'Etat de Palestine soit reconnu par Israël dans les frontières qui lui ont été attribuées par le Conseil de sécurité de l'ONU. Une politique constante depuis l'indépendance de l'Algérie qui peut être résumée par les mots fameux du défunt président Boumediene qui déclarait à propos de la crise du Proche-Orient, «nous ne serons ni devant, ni derrière les Palestiniens, mais nous serons constamment à leurs côtés et ce qui leur agrée, nous agrée». Cette parenthèse fermée, relevons toutefois que le Guide libyen qui, durant trois décennies, a défié la communauté internationale et singulièrement l'Occident, ne sait plus quoi faire pour rentrer dans les bonnes grâces de cet Occident hier encore honni. Tripoli a, ces dernières années, mené une politique qui a marginalisé la Libye, la mettant au ban de l'humanité. Hier excessif dans le refus, le Guide libyen semble aujourd'hui tout aussi excessif dans la main tendue.