L'opération a même commencé. Tandis que le tapis rouge est déployé sous les pieds des occidentaux, Tripoli traque tous les étrangers du Sud en situation irrégulière, originaires pour la plupart de pays africains déshérités. “Les autorités ont décidé de commencer à rassembler immédiatement tous les étrangers vivant illégalement en Libye et à les expulser sur le champ”, a précisé le gouvernement libyen, dans un communiqué diffusé par l'agence de presse officielle Jana. Fini donc l'eldorado libyen et l'image d'un pays de la fraternité panafricaine. Kadhafi, qui avait fortement encouragé leur afflux pour prouver que son idéal n'est pas surfait, s'est retourné contre ses invités qualifiés aujourd'hui d'immigrés clandestins et accusés de répandre l'insécurité ainsi que des maladies et d'occuper des emplois au détriment des jeunes chômeurs libyens. Ce qui n'est pas tout à fait faux mais, en réalité, le leader libyen a surtout cédé sous la pression de l'Italie, son voisin au-delà de la mer, et des autres Etats de l'Union européenne, pour endiguer le flot des immigrés clandestins qui empruntent la voie de la Libye pour traverser la Méditerranée. Kadhafi, qui est entré dans les bonnes grâces des Occidentaux, a été jusqu'à accepter l'établissement sur son territoire de centres de rétention où sont parqués des clandestins refoulés par les Européens. La chasse aux immigrés est donc un retour d'ascenseur à l'Occident qui a fait de lui un dirigeant fréquentable. Pour se dédouaner, Kadhafi met en avant le sésame de la crainte de voir des éléments d'El-Qaïda s'infiltrer dans les rangs des immigrés. Aussi, les opérations d'expulsion concerneront, à très court terme, des millions d'individus, y compris des Egyptiens et des ressortissants des autres pays du Maghreb. Les responsables et les médias libyens évaluent à deux millions ou plus le nombre de clandestins, pour la plupart issus de pays de l'Afrique sub-saharienne. Les forces de police ont reçu l'ordre de détruire les logements et abris de fortune où se cachent la plupart des clandestins à la périphérie de Tripoli et des autres grandes villes du littoral méditerranéen, de menotter leurs résidents et de les renvoyer dans leurs pays d'origines. Faire plaisir à l'Occident a son revers de la médaille : le guide de la révolution libyenne ne pourra plus se prévaloir de popularité au sein des populations du Sud, comme il se plaisait à l'étaler dans ses virées africaines. D. Bouatta