A qui profitera cette neutralité de l'ANP ? En disant niet aux appels de ceux - et ils sont nombreux - qui veulent l'impliquer dans les joutes politiques futures, l'ANP confirme qu'elle a tiré les leçons des expériences passées et qu'elle n'entend pas se laisser manipuler ni dicter la conduite à tenir lors de la prochaine présidentielle. Et ce n'est sûrement pas à trois mois de cette importante échéance électorale qu'elle risque de changer une feuille de route dont elle a mûri les grandes lignes pendant cette période de cinq ans. Quant à dire que l'armée va se croiser les bras, cela est une autre paire de manches, puisqu'elle reste l'institution la mieux organisée et la plus disciplinée, et qui sait où elle va. Ne rien faire, en langage militaire, cela veut dire «je ne dévoile pas ma stratégie» et c'est déjà une stratégie. Il y a l'instruction du 6 décembre 2003, dans laquelle la neutralité de l'armée est réaffirmée et dans laquelle il est fait état de «la nécessité impérative pour le militaire ou assimilé d'éviter tout acte ou attitude ou comportement à l'occasion ou en rapport avec l'élection», alors même qu'en tant qu'électeur , celui-ci «est libre de voter pour le candidat de son choix». L'Armée nationale populaire va faire le dos rond. C'est la stratégie romaine de la tortue, tous boucliers dehors pour amortir les pluies de coups, en attendant que l'orage passe. En décidant de se consacrer totalement à la modernisation de l'armée et à ses missions constitutionnelles, la grande muette laisse entendre qu'elle n'est nullement concernée par la crise montée en bulle par la classe politique, toutes tendances confondues. La bulle finira par éclater d'elle-même. Quant à la crise dont on parle tant, elle n'est qu'une tempête dans un verre d'eau. C'est en gros le message qu'on peut décrypter dans l'éditorial de la revue El Djeïch. Si les partis politiques ne sont pas en mesure d'assumer leurs responsabilités sans invoquer le parapluie de l'armée, cette dernière n'entend pas se laisser entraîner dans une nouvelle aventure aux conséquences imprévisibles. Les expériences de 1992 et de 1965, la première pour interrompre le processus électoral et la deuxième pour évincer M.Ahmed Ben Bella du pouvoir, ne sont pas à proprement parler des exemples de ce qu'il y a de mieux en matière de bonne gouvernance. Reste à savoir à qui profitera cette neutralité de l'ANP. Le président-candidat perd déjà le trésor de guerre des urnes spéciales, dont on peut estimer l'apport à plus de un million de voix, alors même qu'il ne peut plus se prévaloir d'être le candidat des «décideurs». L'opposition elle, ne peut plus invoquer l'arbitrage de l'ANP pour exiger la neutralité de l'administration. Mais n'est-ce pas justement l'opposition parlementaire (MRN et FLN compris) qui a fait modifier la loi électorale en y inscrivant toutes les garanties légales qui lui paraissent appropriées pour enrayer la fraude? L'armée renvoie-t-elle dos à dos, et président et opposition? Se désintéresse-t-elle vraiment de la prochaine élection? Il reste qu'en cette période trouble, seul un arbitre aux compétences reconnues peut siffler les fautes et distribuer les cartons rouges, même si, au moment où l'Algérie négocie un partenariat avec l'Otan, l'ANP apparaît ainsi comme une armée moderne, soucieuse de son rôle républicain. Mais ceci n'est pas incompatible avec cela.