La thèse de la «neutralité active», telle que développée par Taleb, ne semble pas être tombée dans l'oreille d'un sourd. Nos confrères d'El Watan ont rapporté dans leur édition d'hier que l'armée, par sa voix la plus autorisée qui soit, va rendre publique sa réponse aux nombreux appels qui lui ont été lancés dans le prochain éditorial à paraître incessamment dans la revue El-Djeich. La même source ajoute que ce sera une occasion pour le chef d'état-major, Mohamed Lamari, de réitérer la «neutralité» de cette institution par rapport à la prochaine présidentielle, mais aussi pour ce qui concerne la scène politique dans sa globalité. Le journal n'en dit pas plus. Force est de dire que cette annonce ne nous avance pas beaucoup, en ce sens qu'il faudra attendre le contenu exact de l'édito pour tenter de le décrypter, voire même de lire entre les lignes. Mohamed Lamari, en effet, avait déjà eu à s'exprimer sur cette question bien avant que les choses ne dégénèrent à la lumière des attaques fomentées contre le FLN, pour dire en substance que l'institution se bornera à observer une parfaite neutralité, laissant accéder au pouvoir n'importe qui, quand bien même ce serait l'islamiste Saâd Abdallah Djaballah, pour peu que son élection se fasse de manière parfaitement démocratique et transparente. C'est, précisément, sur la base de cette déclaration que les appels, de plus en plus pressants, se sont fait entendre en direction de l'Armée. Un homme comme Taleb avait commencé par imposer comme préalable cette «neutralité», avant d'évoquer un concept nouveau, qui est celui de «la neutralité active», à savoir veiller, dans le respect des missions constitutionnelles de l'armée, à faire respecter cette même impartialité aux autres institutions, la présidence, le gouvernement et les collectivités locales en l'occurrence. Ali Benflis, la semaine passée, jour du verdict rendu contre lui par la chambre administrative près la cour d'Alger, en sa qualité de secrétaire général du FLN, avait lancé un appel quasi similaire, sauf qu'il s'était refusé à nommer l'armée, se contentant de dire que son appel au secours de la démocratie et du pluralisme s'adressait à toutes les institutions du pays, l'ANP y compris. De nombreuses autres voix, moins importantes il est vrai, se sont élevées de manière autrement plus virulentes pour exiger carrément de l'armée de déposer un président qu'elle a grandement contribué à mettre en place. S'il n'y a aucune chance qu'il soit répondu à ce dernier appel, celui de Taleb et Benflis paraissent tout aussi raisonnables que conformes à l'esprit même qui a toujours présidé aux activités et à l'histoire de notre armée, issue de la glorieuse ALN. Comme il est vrai que les coïncidences sont fort rares en politique, il est permis, toute prudence et proportions gardées, d'établir un certain parallèle entre la toute prochaine sortie de l'armée et la lettre du général à la retraite et ancien président Liamine Zeroual. Homme taciturne, en retrait de la vie politique et publique depuis sa démission en 1998, Zeroual a rendu publique une fort longue lettre, adressée au peuple algérien, dans laquelle il est permis de tirer deux idées maîtresses. La première est qu'il considère son propre bilan meilleur que celui de son successeur. Des «régressions» seraient même enregistrées dans certains domaines. Les avis sur la question peuvent, certes, être partagés. Il n'en demeure pas moins que Zeroual se base sur ce constat, qu'il souhaite être sans appel, pour évoquer une idée chère à son coeur depuis sa démission en 1998, celle de l'alternance au pouvoir. Beaucoup d'observateurs, depuis le message de sympathie adressé par Zeroual à Benflis, ont vu dans cette sortie une courtoise invitation lancée à Bouteflika pour se retirer de son fauteuil présidentiel. Avec la lettre vitriolée de Boualem Benhamouda, ancien secrétaire général du FLN, les choses promettent de se «corser» de jour en jour. Dure sera la mission de l'ANP, dans un pareil contexte, de garder toute sa sérénité et de continuer à demeurer au-dessus de cette mêlée générale, en toute neutralité.