Comme à l'époque de Moubarak, l'armée, dernier recours pour Morsi? L'armée égyptienne est sortie hier de son mutisme, mettant en garde contre la poursuite de la grave crise que traverse le pays, où plus de 50 personnes ont trouvé la mort en cinq jours de violences. Au Caire, le calme est revenu hier matin aux abords de la place Tahrir, où des heurts sporadiques entre la police et des groupes de jeunes se sont poursuivis jusque tard dans la nuit. Les émeutes se sont toutefois poursuivies durant la nuit dans la région du Canal de Suez dans le nord-est du pays malgré le couvre-feu. Les manifestants criaient «dégage» et scandaient des slogans hostiles aux chef de l'Etat et aux Frères musulmans, le mouvement dont il est issu. «La poursuite du conflit entre les forces politiques et leurs divergences sur la gestion du pays pourraient conduire à un effondrement de l'Etat» a prévenu le ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi. Le ministre a appelé «toutes les forces politiques» à trouver une issue aux «problèmes politiques, économiques, sociaux et de sécurité» du pays, dans un message devant une académie militaire. Il a également insisté sur la protection des «infrastructures vitales et stratégiques», au premier rang desquelles le canal de Suez, axe majeur du commerce mondial, dans la région duquel les troubles les plus meurtriers se sont produits. Il s'agit de la première prise de position publique du général Sissi, qui est également commandant des forces armées, depuis le début jeudi soir de cette nouvelle vague de troubles dans le pays. L'influente institution militaire, qui a dirigé l'Egypte pendant près d'un an et demi après la chute de Hosni Moubarak en février 2011, est plus discrète depuis que le président islamiste Mohamed Morsi, élu en juin, a écarté en août son ancien ministre de la Défense et adversaire, le maréchal Hussein Tantaoui. Elle s'était toutefois déjà manifestée en décembre dernier pour appeler au dialogue et rappeler son rôle de garante de la stabilité du pays, lors d'une vive crise liée à l'adoption d'un projet de Constitution controversé. L'armée s'est déployée depuis plusieurs jours à Port-Saïd et Suez pour protéger des bâtiments publics et des installations vitales dans ces deux villes aux entrées du canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge. Le président Morsi a également imposé dimanche soir l'état d'urgence, dans les trois gouvernorats jouxtant cet axe stratégique de navigation (Port-Saïd, Ismaïliya, Suez). Le Sénat a par ailleurs ratifié lundi un projet de loi autorisant M. Morsi à déployer l'armée afin qu'elle participe temporairement au maintien de l'ordre. «Le peuple du canal défie l'état d'urgence du président», titrait hier le journal indépendant Al-Chorouq. Cinquante-deux personnes ont péri au total et des centaines ont été blessées dans les violences qui ont débuté jeudi soir, au moment où le pays marquait le deuxième anniversaire du début de la révolte contre l'ex-président Hosni Moubarak. Les heurts les plus sanglants ont eu lieu à Port-Saïd, où 42 personnes ont péri dans des violences depuis la condamnation à mort samedi de 21 supporteurs du club de football local Al-Masry, impliqués dans des heurts meurtriers l'an dernier à l'issue d'un match contre le club cairote d'Al-Ahly. Ces affrontements, les plus meurtriers depuis l'élection de M.Morsi en juin 2012, se déroulent sur fond de forte contestation du pouvoir de M. Morsi par l'opposition laïque depuis des mois, et de sévère crise économique. L'épave calcinée d'un fourgon de police était visible au milieu de la place. Les Etats-Unis ont condamné lundi «avec force les violences qui se déroulent dans plusieurs villes égyptiennes», a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney.