Le régionalisme existe dans les rouages de l'Etat depuis l'indépendance. Le spectacle pugilistique auquel nous ont conviés à l'hôtel Moncada les responsables du mouvement des redresseurs montre bien que ce dernier ne se fait pas remarquer par les lignes de crêtes, ni par ses projets, mais bien plutôt par ses lignes de fracture. Autant dire que parmi les motivations qui guident l'action des redresseurs, les luttes de personnes pour le leadership et les ambitions personnelles se placent bien en tête, relayées par d'autres qui ont des soubassements régionalistes purs. Ce qui gêne justement dans cette future élection présidentielle, c'est le fait que le débat politique est évacué comme par magie au profit d'un clientélisme d'un aloi douteux. Il suffit qu'une des parties essaie de tirer la couverture à soi en invoquant le tribalisme pour que les autres fassent de même, en disant : «Pourquoi pas moi?» Bon, on ne va pas se voiler la face : le régionalisme existe dans les rouages de l'Etat depuis l'indépendance, chacun essayant de se faire entourer des membres issus de sa smala ; mais depuis le mois de mars 2003, cela se fait à visage découvert, dans une sorte de chasse aux sorcières sordide et aux relents fétides. Et ce n'est qu'un juste retour des choses que ceux-là mêmes qui abusent de ces recettes miracles les reçoivent en pleine figure. C'est ce qui a l'air de se passer du côté de l'hôtel Moncada, où, après le forcing fait pour invalider le 8e congrès du FLN, on en arrive aux mains entre les alliés d'hier. C'est un peu l'histoire du serpent qui se mord la queue, ou pour rester dans la fable, c'est l'histoire de l'arroseur arrosé. Le président de la République lui-même, au nom de qui ces luttes intestines sont menées, ne reconnaît pas les siens. Les lecteurs sont déjà au courant de ce qui s'est passé : le mouvement des redresseurs, qui s'est déjà scindé en deux camps - celui de Hadjar et celui de Abdelaziz Belkhadem - voit surgir en son sein une autre cassure, cette fois entre pro-Belkhadem et pro-Saïd Barkat. On a l'impression qu'à partir du moment où le mouvement des redresseurs a commencé par contester les instances issues du 8e congrès, il ne tient plus à s'arrêter en si bon chemin. Le nettoyage qui a commencé au centre continue à la périphérie, des forces centrifuges agissent de l'intérieur même du mouvement pour le faire imploser. C'est une dynamique qui obéit aux lois de la physique. Si le mouvement était mû par des considérations politiques plus sincères, les différentes tendances qui l'animent auraient pu taire leurs ambitions personnelles ou régionales pour trouver un terrain d'entente, mais au rythme où vont les choses, il est peu probable que le congrès, maintes fois annoncé, arrive à se tenir dans de bonnes conditions, d'autant plus que la décision de justice qui gèle les activités du FLN crée un obstacle difficile à surmonter. Aujourd'hui, les points de vue semblent inconciliables : si Saïd Barkat, le ministre de l'Agriculture, originaire de Biskra, est mis sur la touche, cela veut dire que c'est une personnalité de l'ouest du pays qui sera favorisée. Peut-être M.Belkhadem lui-même, bien que ce dernier ait annoncé son refus de briguer le poste de secrétaire général du FLN rénové. Quelle que soit l'issue du conflit, l'une des parties va crier au loup, et cela serait nuisible à l'image de marque d'un président de la République qui ne se revendique d'aucune chapelle. Le président n'est-il pas au-dessus des luttes régionalistes? En 1999, le fait que le directeur de campagne soit issu de la ville de Batna avait donné du président une image de rassembleur et une assise nationale. C'est ce capital qui risque d'être dilapidé, si les luttes pour le leadership continuent d'avoir lieu au sein du mouvement des redresseurs sur fond de considérations régionales. M.Bouteflika est-il piégé par ses propres partisans, lui qui ne voulait pas se séparer du soutien du FLN en se proclamant djebhaoui? Ne va-t-il pas finalement lâcher la proie pour l'ombre?