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Les partis islamistes et le pouvoir
LA TUNISIE EN PLEINES TURBULENCES
Publié dans L'Expression le 18 - 02 - 2013

Jebali face à Ghannouchi, le combat de chefs aura-t-il lieu?
Le Premier ministre tunisien n'a pas pu honorer ses engagements à former un gouvernement apolitique pour ce samedi. Les résistances, d'un côté, et les pressions de l'autre, ont fait que Jebali a reporté l'annonce de ce gouvernement de technocrates sans appartenance politique. Dire qu'il a échoué, ce n'est pas encore le cas, car au-delà du gouvernement lui-même, il y a plus important et plus pressant pour la Tunisie. Il y va de sa stabilité et, par conséquent, de sa sécurité. Les priorités changeant par définition, ce n'est pas tant le fait d'annoncer à telle heure précise ou tel jour précis de la semaine qui compte désormais. C'est plutôt s'il va pouvoir le faire et comment, car sans trop entrer dans certaines considérations, on a bien l'impression que quelque part, quelques parties ne veulent pas que la Tunisie sorte de l'impasse, qu'elles veulent la maintenir dans l'état de crise qui est le sien depuis longtemps.
Qui veut étouffer la Tunisie? Qui a intérêt à cela? Pourquoi? Pour l'instant, il est difficile pour les analystes d'avancer des arguments et tout n'est que spéculation. L'opacité entoure ce qui se passe en Tunisie.
Lenteurs du processus démocratique
Depuis le début, les observateurs avaient remarqué une lenteur anormale qui caractérise le processus de transition démocratique vers l'après-Ben Ali. Le gouvernement piétine et l'ANC (Assemblée nationale constituante) n'arrive pas à pondre une Constitution qui bénéficierait du Consensus des parties en place. Le bras de fer qui se déroulait en coulisses entre ces parties devenait parfois visible, lorsque les mésententes ne pouvaient plus être tues ou cachées. Rappelons-nous, entre autres, cette colère que ne put contenir Marzouki, président de la République, lorsque son Premier ministre Jebali procéda, sans même l'en avertir, à l'extradition de l'ex-Premier ministre d'El Gueddafi vers la Libye. Avec le temps, les divergences entre partis de l'alliance devenaient de moins en moins surmontables au point où il devint impossible de procéder à un simple remaniement ministériel. A cette situation d'impasse est venu s'ajouter l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd qui a heurté les Tunisiens. Et comme, même en politique, les problèmes ne viennent jamais seuls, c'est une autre division, interne cette fois, qui est venue frapper Ennahda, le parti au pouvoir. Et elle fait suite à la décision de Jebali, le n°2 de ce parti, de mettre en place un gouvernement sans appartenance politique. Si cette tentative du Premier ministre peut prétendre à plusieurs lectures, pour l'aile dure d'Ennahda, cela n'est rien d'autre qu'un «coup d'Etat contre le gouvernement élu» comme l'a déclaré ce samedi Ghannouchi,le n°1 du parti, qui a dénoncé une «série de complots» dont fait l'objet son parti depuis son arrivée au pouvoir.
Si Ennahda entend jouir de la légitimité des urnes, c'est surtout en ce qui concerne les ministères régaliens de la Justice, l'Intérieur et les Affaires étrangères qu'il ne veut pas perdre. Des ministères à l'importance capitale pour la préparation, le déroulement et la surveillance des élections présidentielle à venir, mais aussi pour la validation de leurs résultats. Que ce parti nourrisse des craintes quant à l'issue du scrutin s'il perd aujourd'hui ces ministères ou qu'il ait conçu des projets électoraux autour de ces ministères, là n'est plus la question du moment que le débat est déplacé au niveau de la légitimité des urnes. Une aile du parti, menée par le Premier ministre, est disposée à renoncer à la légitimité pour tenter de débloquer la situation dans laquelle est plongé le pays et, en face, l'aile menée par Ghannouchi, refuse d'en entendre parler. Il n'y a aucune raison pour cette aile d'Ennahda, que leur parti renonce à son droit de gouverner. Autant dire qu'Ennahda doit subir en ce moment énormément de pressions tant de l'extérieur, que de l'intérieur.
Ennahda n'entend pas renoncer à une légitimité obtenue par les urnes
Si Ennahda refuse un gouvernement technocrate dans le but de jouir pleinement de la légitimité populaire qui lui a été donnée par les urnes, ce qui constitue un argument de taille à prendre en considération, le parti du président Marzouki, pour sa part, ne peut qu'étonner en optant, lui aussi pour un refus de ce gouvernement car, n'ayant ni ministère de souveraineté à défendre ni majorité à faire valoir, ce parti pourrait vouloir uniquement profiter du fait de son alliance avec le parti de Ghannouchi pour plus de visibilité. Mais il se peut aussi qu'il ait négocié cette position avec Ennahda et même obtenu quelques engagements pour l'avenir, c'est-à-dire pour les élections et l'après-élections. Sinon comment expliquer que Merzouki qui n'a fait, dès le départ, que se plaindre du blocage, refuse le changement? A moins que ce soit une manière de mettre les bâtons dans les roues du Premier ministre, histoire de lui rendre la monnaie de sa pièce lorsque celui-ci procéda à l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen, Al-Baghdadi al-Mahmoudi, sans même prendre la peine de l'en informer. Dans un cas comme dans l'autre, l'actuel président serait en train de jouer à un jeu qui dépasse les capacités d'absorption de son propre pays.
Encore une fois, il est difficile de contester à Ennahda son droit à gouverner. La question n'est donc pas là. La question, c'est de savoir si ce parti, largement élu, est capable de s'en tenir à user de son droit légitime quel qu'en soit le coût? C'est à méditer, car l'avenir d'un pays ne se compte pas en nombre de mandats d'un parti ou d'un autre. Il y a des parties qui s'opposent à ce que ce parti gouverne, disons-le clairement. Depuis qu'il mène la coalition, tout est concourt pour l'empêcher d'avancer et donc tout vise à lui faire perdre la sympathie des citoyens, cela est visible. Même l'intervention du ministre français de l'Intérieur suite à l'assassinat de Chokri Belaïd ressemble, à s'y méprendre, à un parti pris, car aucune preuve n'accuse encore aucune partie déterminée dans ce lâche assassinat. Mais le problème aujourd'hui, c'est de pouvoir dépasser la situation d'impasse créée et qui, à la longue, risque de déboucher sur des scénarios compliqués, voire non souhaitables.
Hamdi Jebali semble vouloir faire sortir son pays du piège qui la guette. Ne pas le suivre dans sa démarche peut poser problème, car il ne s'agit pas, du moins pour l'instant, de faire sortir quelques centaines ou quelques milliers de personnes dans la rue pour réclamer une légitimité que nul ne remet en cause, il s'agit de bien plus important: sauver la Tunisie.
Ennahda est un parti islamiste. Et, en plus, il a bénéficié du vote du peuple, qu'on le veuille ou non. Or, et à bien regarder ce qui est en train de se passer dans notre monde et de nos jours, tout est fait pour que les partis islamistes ne gèrent pas et, à plus forte raison, n'aient pas la possibilité de réussir. Regardons donc les Frères musulmans en Egypte où, depuis qu'ils sont au pouvoir, plus rien n'avance. Les manifestations succèdent aux manifestations, les affrontements se substituent aux affrontements au point où l'on finit par croire que ce parti n'aura jamais une période de paix pour gérer et encore moins pour réussir. Regardons aussi Hamas, en Palestine qui, bien qu'il fut élu, il fut boycotté et repoussé par tout le monde ou presque, histoire de l'empêcher de gouverner et, surtout, de réussir. La Tunisie offre l'autre exemple vivant à méditer. Il ne s'agit pas ici de faire l'apologie des partis islamistes, mais de décliner une réalité que nul ne peut cacher: les islamistes sont empêchés de gouverner réellement. Ils n'arrivent au pouvoir que pour faire face aux problèmes, jouer aux pompiers. Pas de quoi s'étonner qu'en fin de compte leur capital sympathie serait grandement atteint.
Qui empêche les islamistes de gouverner?
Qui donc n'a pas intérêt à ce que ces partis n'arrivent pas au pouvoir? Pratiquement ceux-là mêmes qui les aident à s'en approcher, juste assez pour être responsables de ce qui arrive dans leurs pays respectifs, mais assez loin pour ne pas pouvoir actionner réellement les leviers de commande. C'est comme si une «main invisible» les tenait à l'écart. Mais cette main étant invisible, ces partis ne trouvent, face à eux, qu'une opposition qui porte sur elle le fait de vouloir les empêcher d'user de leur légitimité de gouverner (le cas de la Tunisie) ou qui veut les en destituer (Palestine et Egypte). Les véritables concepteurs, eux, ne sont jamais là. Ils agissent à distance.
Pour revenir à la Tunisie, les enjeux sont importants pour chaque partie en place. Le Premier ministre y joue son poste. Il tente d'ajouter à la pression en battant la carte de la démission dont son pays se passerait bien, surtout en cette période. Le parti Ennahda s'accroche à une légitimité qui lui a été accordée par les urnes. L'opposition est partagée entre Jebali et Ghannouchi et l'obstination se renforce. C'est dire que tout est fait pour que l'étau mis en place par la maudite «main invisible» se resserre. L'échec de Jebali peut s'avérer dangereux pour la Tunisie. Celui d'Ennahda aussi. Nul ne peut prédire ce qui adviendra de ce jeu de rapport de forces. Le moment est à la sagesse pour sauver le pays d'un piège qui semble avoir été patiemment et savamment mis en place. Les Tunisiens devraient pouvoir échapper au piège, mais pour cela sauront-ils s'élever ensemble au-dessus de ce qui ne les unit pas? Sauront-ils s'appuyer sur la sagesse et le bon sens pour éviter le pire au pays? Nous l'espérons bien, surtout que, et l'histoire l'a montré à plusieurs reprises, dans ce genre de situation, tout peut basculer à tout moment.


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