La vie politique en Tunisie tarde à reprendre après la mort de l'opposant de gauche, Chokri Belaïd, dans des circonstances pour le moins troublantes. Entre un Premier ministre, Hamadi Jebali, qui a faussé compagnie à ses «frères» d'Ennahda, le boycott de l'Assemblée nationale constituante (ANC) par quatre courants de l'opposition et la persistance des désaccords sur la substance de la nouvelle Constitution, l'impasse politique est intégrale. Et l'assassinat de Belaïd Chokri est tombé comme un cheveu sur la soupe, polluant un peu plus l'atmosphère déjà bien pesante dans un pays qui fait aussi «connaissance» avec le djihadisme. Tous les Tunisiens attendaient, hier, l'issue du bras de fer entre le Premier ministre et son parti, Ennahda, au sujet du remaniement de son cabinet. Alors que Jebali souhaite et déclare vouloir mettre en place une équipe de technocrates pour assurer une transition sereine et éviter au pays une dérive, Ghannouchi et sa cour lui signifient une fin de non-recevoir. Mais l'homme ne s'avoue pas vaincu.Sans renier son extraction islamiste, Jebali n'en garde pas moins de solides attaches avec les militants du centre-gauche et autres courants d'opinion avec qui il partage un certain nombre de principes, dont celui de «sauver le pays et non pas la coalition» au pouvoir. En attendant, le parti islamiste a rameuté, hier, ses ouailles du majlis echoura (conseil consultatif) pour examiner la conduite à tenir face à Hamadi Jebali qui menace de sortir des rangs en remettant la démission de son gouvernement. Et il risque de ne pas être le seul à mettre Ennahda au pied du mur.Les ministres du parti du président Moncef Marzouki, le Congrès pour la République (CPR), s'apprêteraient eux aussi à jeter l'éponge, selon l'agence officielle TAP citant Chokri Yacoub, le président de son conseil national. L'«oracle» de Ghannouchi Le CPR, qui compte trois représentants au cabinet Jebali, a indiqué la semaine dernière que ceux-ci démissionneraient si les ministres des Affaires étrangères et de la Justice, issus du parti islamiste Ennahda, restaient en place. De quoi mettre le mouvement islamiste face à ses responsabilités de lâcher prise, sinon la situation en Tunisie pourrait déraper. Sur le terrain, la tension est palpable à travers, notamment, le déploiement de l'armée et les forces antiémeute qui sont sur le qui-vive. Les heurts entre policiers et manifestants, déclenchés après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, mercredi, ont provoqué la mort d'un policier et 59 blessés parmi les manifestants, selon un bilan officiel. L'issue du bras de fer politique déterminera à coup sûr l'évolution de la situation sur le terrain. La presse est plutôt optimiste quant au succès de la démarche de Hamadi Jebali visant à faire subir une «cure» technocratique à son cabinet. D'autant plus que la loi d'organisation provisoire des pouvoirs publics autorise le chef du gouvernement à «créer, modifier et supprimer les ministères et les secrétariats d'Etat et fixer leurs attributions et prérogatives, après délibération du Conseil des ministres et information du président de la République». Mais sans compter sur la frange radicale d'Ennahda qui a menacé de descendre dans la rue pour défendre la «légitimité des urnes». C'est dire qu'entre la bonne intention de Hamadi Jebali et les calculs politiciens de Ghannouchi, la Tunisie vit une longue nuit de doute…