«Le commerce est l'école de la tromperie.» Vauvenargues Depuis déjà un quart d'heure, les voyageurs transis attendaient que le conducteur du bus et son receveur veuillent bien monter dans le car et démarrer. Le conducteur, trempant un balai dans la flaque d'eau boueuse qui s'était formée le long de l'arrêt, frottait les roues du véhicule pour les débarrasser de la boue. Il faisait froid. La pluie tombait timidement. Soudain, l'un des voyageurs interpella le receveur, lui demandant de démarrer. Sans se départir de sa morgue, le receveur lui répondit sèchement qu'il ne démarrera pas avant d'avoir au moins dix passagers debout. Et il y avait longtemps que la prière du Dohr avait commencé. Les passagers restèrent emmurés dans un mutisme qui exprimait l'impuissance. Le vieil homme à barbe blanche me murmura à l'oreille: «Tu vois où nous sommes arrivés! Aucun respect pour tous ces gens. Il n'y a aucune autorité pour contrôler...» Je lui répondis: «Ce qui différencie un pays développé d'un pays du Sud, c'est, bien sûr le sérieux et le contrôle. Tout ce qui est mis en chantier est suivi par différentes institutions qui auront à répondre devant le gouvernement ou l'Assemblée. Cela va de la construction d'un ouvrage d'art jusqu'aux objets de grande consommation en passant par les différents services offerts aux citoyens. Car le but ultime de l'activité, c'est bien la satisfaction du citoyen qui, lui-même, est un producteur. Quand un projet est mûrement réfléchi, pensé, soupesé, discuté et soumis à l'avis des experts comme à la volonté des élus, il est mis en chantier. Comme la démocratie l'exige, il y aura toujours dans les travées de l'opposition, des voix scandalisées qui dénonceront ledit projet et qui révèleront, à l'opinion publique, les intérêts politico-financiers qui sous-tendent l'entreprise. Il y en a même qui ne manqueront pas de citer, chiffres et noms à l'appui, les heureux bénéficiaires qui récolteront les dividendes. Quoi qu'il en soit, si le projet est viable, il passera, mais s'il présente des risques, des dangers ou tout simplement s'il présente plus d'inconvénients que d'avantages, il sera vite abandonné et ses promoteurs seront vite appelés à d'autres fonctions beaucoup plus discrètes, en attendant que le fiasco de l'opération soit oublié. C'est cela la démocratie. Elle a un prix. Même des ministres reconnaissent la non-application des lois dans ce pays: «Les lois existent, elles sont parfaites, mais les appliquer est une autre affaire», disent-ils entre deux discours de bon aloi. Il faut, au passage, applaudir le courage de ces ministres qui ont mis implicitement en relief l'inanité de tous les Exécutifs qui se sont succédé depuis quatre décennies. C'est bien beau de voter des lois pour protéger l'enfant mineur, la femme, la veuve, l'orphelin, le consommateur qui est aussi le payeur, le contribuable, le résident, le voyageur, l'automobiliste, le piéton, l'environnement...mais aussi, il faut que l'appareil administratif mis en place pour faire appliquer ces lois (sans exception, bien sûr et sans dérogation, bien entendu!) joue son rôle. Du chef du gouvernement jusqu'au garde champêtre, en passant par le wali et l'agent de police qui règle la circulation, tous doivent jouer pleinement leur rôle dans la défense des intérêts des citoyens et, par conséquent, dans l'intérêt de la nation. Quand dans un système, un seul de ces facteurs ferme l'oeil pour permettre à un copain, à un coquin, à un partisan d'enfreindre la loi pour se remplir les poches, c'est toute une série de clins d'oeil qui vont se succéder du sommet jusqu'à la base ou vice versa. Il suffit de regarder ce qui se passe en face: une entreprise de produits agroalimentaires s'est aperçue qu'on l'avait trompée sur la qualité d'une marchandise et c'est le branle-bas de combat dans toute l'Europe. Les gens n'acceptent pas qu'on leur fasse bouffer du cheval à la place du boeuf. Et nous, combien d'ânes avons-nous consommés dans notre vie?. C'est ce qui fait la différence entre «ici» et «là-bas»: tout est trompe-l'oeil, en faux-semblants! C'est une chaîne de négligences et de complicités...