Le dialogue en cours entre le chef du gouvernement et les 24 se focalise sur la réparation morale et matérielle des victimes du printemps noir. C'est ce que nous a révélé avant-hier un membre de cette délégation à la salle Ibn Khaldoun. Il était 20 heures lorsque les 24 ont quitté le palais du gouvernement pour se diriger vers Staouéli où ils vont passer la nuit dans un hôtel privé. Aux alentours de la salle Ibn Khaldoun, nous avons approché quelques membres des 24 qui se sont exprimés sur le contenu de la séance. Ainsi, Ali Gherbi, tout en se refusant à toute déclaration officielle avant l'obtention d'un quelconque résultat, déclare: «Nous avons entamé un débat général avec le chef du gouvernement sur la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur.» Toutefois, en dépit d'une impression positive, Gherbi affiche un scepticisme à peine voilé: «Notre seule confiance réside dans la plate-forme d'El-Kseur qui reste scellée et non négociable.» Fidèle à sa détermination et sa volonté, Gherbi conclut avec un signe d'espoir: «Nous voulons la victoire de tout le peuple algérien et nous souhaitons que le soleil se lève dans la région plongée depuis longtemps dans l'obscurité.» Son collègue de Boumerdès, Mzalla, s'est montré plus prolixe sur ce sujet. Dans ce sens, le membre des 24 évoque «le premier axe entamé avec Ouyahia est relatif à l'impunité. Il faut que l'Etat reconnaisse sa responsabilité unilatérale des crimes commis dans la région. C'est un bras de fer, certes, mais nous avons la légitimité populaire de notre côté». Concernant les enjeux de ce dialogue sur la scène politique nationale, notre interlocuteur explique: «Le pouvoir veut exploiter cette initiative pour se repositionner en perspective des changements politiques qui auront lieu à l'avenir.» Sur le rôle du chef du gouvernement dans le dossier kabyle, Mzalla précise: «Ouyahia est l'homme de Bouteflika, certes, mais on a l'impression qu'il représente également la grande muette.» D'après ce délégué, l'éventuel départ d'Ouyahia, revendiqué par les 11, n'affecte en rien le processus du dialogue car «nous dialoguons avec l'Etat et non avec des personnes», rappelle-t-il. Ce qui est certain, c'est que Ouyahia, maîtrisant le dossier de bout en bout, va peser de tout son poids durant ces discussions qualifiées par un membre des 24 «d'âpres et d'ardues». Un véritable duel entre raison d'Etat et légitimité citoyenne. Le mouvement citoyen qui qualifie l'assassinat de Guermah Massinissa de «prémédité», refuse de parler d'un acte isolé comme ce fut le cas après l'assassinat de Boudiaf par Boumarafi. Dans le document de mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur, adopté le 23 novembre 2003 par l'interwilayas, il est exigé «de l'Etat la reconnaissance officielle et publique de ses responsabilités unilatérales, pleines et entières dans les événements du printemps noir 2001 par la prise en charge de l'ensemble des réparations morales et matérielles vis-à-vis de toutes les victimes et les ayants droit». Ainsi, «toutes les victimes assassinées ou décédées dans le cadre du mouvement et des événements du printemps noir à partir de 2001 ouvrent droit à un statut de martyr de la dignité et de la citoyenneté». En tout cas, ce premier chapitre, composé de 19 articles, débouche inéluctablement sur un deuxième chapitre encore plus épineux. En ces termes, «l'Etat s'engage à juger dans les délais, tous les commanditaires et les responsables ordonnateurs et exécutants des crimes et délits, avérés à tous les niveaux de commandement dans les événements du printemps noir». Les débats autour de ces deux «minima», pour reprendre un délégué, peuvent s'étaler sur des semaines voire des mois. Il n'est pas aisé pour Ouyahia de s'engager sur un chemin où même la nature du système politique sera remise en cause. Mais les dernières sorties du général Lamari peuvent renforcer les archs dans leur conviction. En décidant d'opter pour une neutralité active et pour le respect des urnes, l'armée veut, ainsi, mettre la classe politique devant ses responsabilités. Une manière, aussi, de dire que la prééminence de l'exécutif sur le législatif ne peut rester éternellement sacro-sainte dans notre pays. A voir le contenu du document d'El-Kseur, il n'est pas exagéré de dire que le projet d'une deuxième République est actuellement en débat au palais du gouvernement. Jusqu'à hier soir, aucun accord n'a été signé par les deux parties.