Dieu! Quel paradoxe vivons-nous! L'Algérie broie encore du noir avec l'annonce de la maladie du Président Bouteflika. La République ne s'en remet toujours pas de vivre presque chaque décennie un nouvel épisode dans le système qui gouverne le pays. Et cela dure depuis cinquante ans. Nos présidents ne finissent jamais leur mandat selon les normes légales ou physiques. Ben Bella avait été tiré de son lit dès potron-minet et jeté en prison durant tout le long règne de Boumediene, soit treize ans jusqu'à ce que ce dernier succomba à sa maladie après une longue agonie. Son successeur Chadli Bendjedid, élu président en février 1979, est chassé de son trône en 1992 pour faire place à un historique de renom, Mohamed Boudiaf, rappelé de son exil marocain pour diriger le HCE. Au bout de six mois de gouvernance, il connaîtra une fin tragique, criblé de balles sorties d'un Kalachnikov de son propre garde du corps. Rappelé de sa ville natale Batna où il commençait à peine à jouir des plaisirs éphémères de sa retraite de général, Zeroual, promu ministre de la Défense nationale avant d'être élu président de la République, annonce, trois ans après, qu'il se retirait de la Magistrature suprême et annonçait la tenue d'une présidentielle anticipée pour avril 1999. Excepté Ali Kafi, qui succéda à Boudiaf à sa mort, cinq de nos présidents de la République ont fini par connaître tous une fin de règne interrompue soit par la maladie, soit par un renversement militaire, soit par une fin tragique. A nouveau, la République algérienne est aspirée dans un trou d'air. Pour la deuxième fois, le Président Bouteflika, en voie d'achever son troisième mandat, est transféré en France pour des soins d'urgence suite à des complications d'ordre cardio-vasculaire. Depuis quatre jours, c'est toute l'Algérie qui sombre dans la dépression politique et qui se shoote à coups de prozac. Où allons-nous? Le peuple est inquiet. La classe politique est aphone. Comme frappée de stupeur. Et le choeur des pleureuses commence à faire entendre ses premiers gémissements. Il y a de quoi, car la Présidence de la République, c'est le coeur du pouvoir. Dans cet univers impitoyable de la politique et de la course au pouvoir, l'on sait depuis les tragédies grecques que toutes les ambitions et que toutes les carrières politiques sont bâties sur la mort du père. Les psychanalystes appellent cela la fascination du pouvoir. Et c'est déjà la poussée du prurit des premières craintes de basculer dans le catastrophisme. Le Président Bouteflika est un homme de 76 ans. Comme nous tous, il a l'âge de ses artères. Il a aussi le droit absolu de tomber malade. D'avoir de la fièvre. De souffrir des maux d'estomac ou d'éprouver les affres d'une tension artérielle capricieuse. Et de subir une batterie d'examens médicaux. Le vrai discernement devrait nous conduire à ne pas faire l'amalgame entre cette situation et ce qui relèverait de la jouissance du pouvoir pur et de narcissisme. Ne dit-on pas qu'«en politique, il n'y a pas de convictions, il n'y a que des certitudes»? Qu'il soit roi, bûcheron ou palefrenier, un homme malade n'est jamais fini. Déjà les premiers commentaires des médias viennent avec beaucoup d'indélicatesse assommer l'opinion publique sur une prétendue présidentielle anticipée. D'autres, issus de la pire engeance qui soit, vont jusqu'à accuser le Président et son très proche entourage d'avoir sombré dans une dérive monarchique. Les Algériens veulent-ils encore de Bouteflika? La question dérange, mais elle a le mérite d'être posée. L'incapacité du Président ne relève pas du secret médical, elle concerne tout un peuple. Elle n'est plus un déni permanent. C'est dire que le Président n'est pas et ne peut pas être, en fin de compte, un homme ordinaire. Aujourd'hui, les peuples du monde veulent savoir si l'état physique de leur président fonctionne aussi bien que les organes de leur véhicule qu'ils conduisent le matin en allant rejoindre leur boulot. Ils ne veulent pas être surpris par une panne mécanique, ni encore moins de se faire remorquer au garage d'à-côté. L'Histoire du siècle dernier nous a montré qu'en pleine Seconde Guerre mondiale, le président américain Franklin Roosevelt voyageait, négociait avec Staline et Winston Churchill, vissé à son fauteuil roulant, sans prendre un instant de répit. Voilà un handicapé moteur qui a dirigé une guerre mondiale! Un Président est out si sa maladie produit un effet sur ses facultés mentales. Sur sa capacité de jugement. Ou sur sa sérénité. Le président François Mitterrand, interrogé un jour par un journaliste sur sa santé, a rétorqué: «Je reconnais qu'il m'arrive d'éternuer.» Mais le même Mitterrand avait caché longtemps aux Français le mal dont il souffrait et qui avait fini par l'emporter. Plus tard, coincé, à sa sortie de l'hôpital Cochin à Paris où il avait été opéré d'un cancer de la prostate, par une équipe de télévision, Mitterrand avait répondu au journaliste: «Je ne pense pas qu'on m'ait enlevé un lobe de cerveau, ce n'est pas de ce côté que ça s'est passé. J'ai à accomplir ma tâche pour laquelle les Français m'ont élu. C'est à ma portée.» La maladie d'un président était un secret d'Etat. Dans le monde d'aujourd'hui, elle ne devrait plus l'être. Elle engage l'avenir d'un peuple. Elle peut déteindre sur les rapports internationaux. Provoquer des conflagrations. Durant la guerre froide, les services d'espionnage du KGB, de la CIA, du Mi6 et de la DGSE avaient leurs spécialistes pour «diagnostiquer» ces malades cachés à la face du monde. Les Américains n'avaient-ils pas détourné les urines du président français Georges Pompidou, lors d'une rencontre avec Nixon, pour les analyser? La CIA avait fini par détenir la preuve que les jours du président français étaient comptés. Le malaise de Bouteflika restera toujours un malaise. Et ce n'est pas pour autant que ceux qui ont choisi d'épouser une posture d'embuscade politique peuvent, d'ores et déjà, prétendre que c'est un président fini et que les jeux sont faits pour le prochain mandat présidentiel de 2014. Prompt rétablissement, Monsieur le Président!