Pour le président du parti Ahd 54, seul le départ du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et la tenue d'une élection présidentielle anticipée pourraient éviter au pays le chaos. Il tient son argument du fait que «le Président a été mal élu» en 2009 et que son état de santé remet en question sa capacité à diriger le pays. Fawzi Ali Rebaïne estime que le changement ne peut venir que de la rue, mais sans affrontements violents avec le pouvoir. Il préconise un dialogue sans exclusive pouvant permettre à l'Algérie de s'inscrire sur la voie de la démocratie et passer vers «un pouvoir réellement civil». Par ailleurs, l'ancien candidat à la présidentielle de 2009 pense que la diplomatie algérienne, dans sa gestion de la crise libyenne, a renié la tradition algérienne qui consistait à soutenir les peuples en lutte pour leur liberté. «C'est tragique de voir l'Algérie soutenir un dictateur qui tire sur son peuple», a regretté Fawzi Ali Rebaïne. - Les appels au changement de régime politique en Algérie se multiplient et chaque courant politique propose sa manière de concevoir ce changement et préconise un autre mode de gouvernance. Quelle vision de changement votre parti préconise-t-il ? D'abord, nous au parti Ahd 54 ne pensons pas que le changement viendra des partis ou de leurs tuteurs, mais plutôt de la rue, seule force capable d'imposer un changement. Je dis cela parce que la classe politique en l'état actuel est très marquée de suspicion, du fait d'un personnel politique qui change au gré des mandats et des allers et retours entre le pouvoir et l'opposition. C'est un bricolage politique avec lequel il faut en finir. Nous sommes contre la logique de l'affrontement direct, car cela arrange le pouvoir et risque de coûter cher aux Algériens. A charge du pouvoir d'éviter le chaos. Persister dans la logique qui consiste à dire que le pays ne vit pas une crise politique, c'est courir le risque d'un affrontement aux conséquences graves. Et si le pouvoir persiste dans cette logique d'autosatisfaction, le chaos risque d'être inévitable. Les exemples tunisien et égyptien sont là et la crise libyenne est à nos portes. Il faut prendre la mesure et la gravité de la situation. Donc, il y a urgence d'ouvrir un dialogue politique, pouvoir-opposition, pour sortir avec des propositions pouvant donner au pays les chances de résoudre la crise de manière pacifique. Pour répondre à votre question, nous appelons à une élection présidentielle anticipée, après la mise en place d'un gouvernement de transition, qui sera composé de toutes les sensibilités politiques, la révision de la loi électorale et l'ouverture du champ médiatique. Bien évidemment, tout cela doit se dérouler dans un climat politique apaisé, où la culture du dialogue doit l'emporter. Bref, il faut arriver à mettre en place des assemblées démocratiquement élues dont les prérogatives seront réellement respectées. Nous proposons pour ce qui est du Sénat la suppression du tiers désigné par le président de la République. - Pourquoi une élection présidentielle anticipée ? Vous appelez au départ du Président actuel, alors que vous-même vous aviez participé à la dernière présidentielle ? Nous pensons que l'institution présidentielle concentre tous les pouvoirs, et de ce fait elle doit être stable. Je dois rappeler que l'actuel Président a été mal élu. Le président Bouteflika est apparu, lors de son discours à la nation, très malade, nous avons donc demandé un bulletin de santé car le peuple doit savoir dans quel état de santé se trouve le Président. On se demande même si Bouteflika a les capacités de diriger le pays, et dans ce cas de figure, on ne sait pas qui dirige le pays réellement. - Appelez-vous à sa destitution comme le suggèrent certains acteurs politiques ? Non, nous restons légalistes et à la différence des autres, nous demandons à connaître l'état de santé du Président. On ne peut pas invoquer l'article 88 de la Constitution avant de savoir dans quel état est le Président. - Pensez-vous que la Présidence concentre tous les pouvoirs, autrement dit, qui détient le pouvoir ? Il est vrai que le pouvoir s'exerce sans contrôle populaire, alors que la corruption, la rapine et toutes sortes d'injustices caractérisent le pouvoir. Nous sommes dans une dictature. Nous sommes le seul pays au monde qui fonctionne avec une seule chaîne de télévision, et où pour obtenir l'autorisation d'éditer un journal, il faut avoir l'autorisation d'un colonel du DRS ! C'est pour cela que nous militons pour sortir des bottes de l'armée et aller vers un pouvoir réellement civil qui répond aux standards des démocraties. Est-il besoin de rappeler ici que l'actuel Président a été ramené au pouvoir par l'armée ? - D'autres voix dans la société demandent justement la dissolution de la police politique, qu'en pensez-vous? Sans faire dans la légitimité historique, je suis quelqu'un, avec beaucoup de mes compagnons de lutte durant les années 1980, qui a été déféré devant la Cour de sûreté de l'Etat et qui a subi la torture. Je ne garde aucune haine à l'égard de mes tortionnaires ni à ceux qui ont donné des ordres pour torturer. Je disais à mes bourreaux que je milite pour que la torture ne sévisse plus dans mon pays. Pour vous répondre, je dirais que dans un processus de démocratisation, la police politique se dissout d'elle-même. C'est un appareil qui est né avec le parti unique. - Lors de son dernier discours, le Président a annoncé des «réformes» dont le pilotage est confié au ministère l'Intérieur. Quelle est votre appréciation ? D'abord une remarque sur la forme. La réforme annoncée est impossible. On ne peut pas fonctionnariser le débat politique. Ce n'est pas dans les prérogatives du ministère de l'Intérieur de mener des réformes politiques. C'est vous dire que le débat est biaisé d'avance. Il est inadmissible d'impliquer l'administration dans le politique. Sur le fond, ce que propose le Président ne prend pas en charge les aspirations des Algériens. Ces réformes n'apporteront rien et ne vont rien régler, tant que le pouvoir ne s'ouvre pas au dialogue dans le but d'inscrire l'Algérie dans une perspective d'avenir avec une nouvelle culture de gouvernance et de nouveaux rapports entre les gouvernants et les gouvernés. Ce que propose le Président est loin d'être des réformes. J'observe aussi que les réponses apportées aux mouvements de contestation sociale relèvent du bricolage politique, car c'est dépourvu de vision stratégique à long terme. Il semble bien que la culture du parti unique est de mise. - Vous avez évoqué la crise libyenne. Comment jugez-vous la gestion de ce conflit par la diplomatie algérienne ? Depuis la Révolution, l'Algérie était une terre d'accueil pour les peuples en lutte pour leur indépendance et leur autodétermination, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Elle a hébergé des révolutionnaires de tous les pays et a apporté son aide aux combats des peuples. Ce qui est tragique avec la crise libyenne est de voir la diplomatie algérienne renier cette tradition de soutien aux peuples. L'Algérie a le devoir de soutenir les peuples en lutte. Dans notre parti, nous avons la tradition de soutenir la politique étrangère de notre pays, mais aujourd'hui, nous disons non à un pouvoir qui soutient le dictateur El Gueddafi dont la seule issue est d'être condamné pour crimes contre son peuple. Il est de l'intérêt de l'Algérie de soutenir les peuples. Elle doit agir quand un dictateur tire sur son peuple. Elle devait venir en aide au peuple libyen avant l'OTAN. On ne peut pas dire oui à l'autodétermination du Sahara occidental et à un Etat palestinien indépendant et refuser ce droit au peuple libyen. C'est un reniement qui s'explique par le fait que la dictature est un dénominateur commun entre les régimes algérien et libyen. C'était la même attitude lors des événements en Tunisie et en Egypte.