Au centre des affrontements avec les salafistes, la police tunisienne était sur les dents hier à Tunis A Kairouan, le calme était revenu, hier, vers 16h00 locales et le dispositif sécuritaire en centre-ville allégé. L'esplanade de la mosquée, où le congrès devait se tenir à l'origine, était quasiment déserte. Des affrontements ont opposé hier policiers et salafistes dans la banlieue ouest de Tunis, faisant une quinzaine de blessés, après l'interdiction du congrès du mouvement salafiste jihadiste Ansar Ashari'â dans la ville de Kairouan. Faute d'avoir pu tenir son congrès à Kairouan (150 km de Tunis), bouclée par un impressionnant dispositif de sécurité, Ansar Ashari'â a appelé dans la matinée ses partisans à se rassembler Cité Ettadhamen, bastion salafiste à 15 km à l'ouest de la capitale, déjà théâtre d'affrontements moins graves la semaine dernière. En milieu de journée, des heurts ont éclaté dans ce quartier où des centaines de salafistes ont érigé des barricades avec des pneus en feu. La police a répliqué avec des tirs de sommation et de lacrymogène puis déployé des blindés et des bulldozers pour disperser les militants et détruire les barricades. Les salafistes se sont repliés dans le quartier voisin, Intilaka, où les heurts se sont poursuivis vers 16h00 (15h00 GMT). La police essuyait notamment des jets de pierre et de cocktails Molotov. «Lors des protestations, onze agents de sécurité ont été blessés, dont un grièvement, ainsi que trois manifestants, dont un est gravement blessé», selon le ministère de l'Intérieur qui évoque «plus de 700 (...) islamistes extrémistes» équipés de «mélanges incendiaires, de projectiles et d'armes blanches». Le ministère n'a pas donné de précisions sur la nature des blessures ni sur le nombre d'émeutiers interpellés. A Kairouan, le calme était revenu (hier) vers 16h00 locale et le dispositif sécuritaire en centre-ville allégé. L'esplanade de la mosquée, où le congrès devait se tenir à l'origine, était quasiment déserte. En fin de matinée, des heurts y avaient opposé un petit groupe de salafistes à des policiers. En début d'après-midi, les manifestants, qui affrontaient encore périodiquement les forces de l'ordre, étaient très majoritairement des jeunes ne semblant pas appartenir à la mouvance islamiste radicale. «Nous considérons que notre congrès a eu lieu à Ettadhamen», a expliqué Sami Essid, un représentant du mouvement, dans la mesure où des barrages et des fouilles pour repérer les islamistes avaient été dressés à Kairouan. Ces derniers jours, les médias ont été témoins d'interpellations de militants salafistes à travers le pays. Les autorités n'ont cependant donné aucune information officielle à ce sujet. Le porte-parole d'Ansar Ashari'â, Seifeddine Raïs, a notamment été arrêté, selon son organisation et une source sécuritaire. Le gouvernement tunisien dirigé par le parti islamiste Ennahda, qui a reconnu début mai la présence de groupes armés d'Al Qaîda sur son territoire, a interdit le rassemblement d'Ansar Ashari'â en estimant qu'il représentait une «menace pour la sécurité» du pays. Al Qaîda au Maghreb islamique a d'ailleurs exprimé samedi soir son soutien à Ansar Ashari'â, tout en appelant les militants tunisiens à ne pas céder aux provocations des autorités. «Ne vous laissez pas provoquer par le régime et son barbarisme pour commettre des actes imprudents qui pourraient affecter le soutien populaire dont vous bénéficiez», a déclaré Abou Yahia al-Shanqiti, membre du comité d'Al Chari'â d'Aqmi. «Soyez des gens de sagesse et de patience», a-t-il ajouté. Ennahda a longtemps été accusé de laxisme pour avoir toléré les groupuscules jihadistes. Il a cependant considérablement durci sa position depuis que 16 militaires et gendarmes ont été blessés entre fin avril et début mai par des mines posées par des groupes armés traqués à la frontière avec l'Algérie. Ansar Ashari'â accuse de son côté Ennahda de mener une politique anti-islamique et a menacé le gouvernement d'une «guerre». Ansar Ashari'â, principal mouvement salafiste jihadiste en Tunisie Le mouvement Ansar Ashari'â, la principale organisation salafiste jihadiste de Tunisie, a été créé après la révolution de 2011 par Abou Iyadh, un vétéran d'Al Qaîda en Afghanistan, que les autorités accusent de plusieurs attaques dans le pays. Ce mouvement n'a pas d'existence légale en Tunisie faute d'en avoir fait la demande car il ne reconnaît pas l'autorité de l'Etat, la seule source de légitimité selon ses militants étant Dieu. Il est néanmoins très présent sur le terrain, notamment dans les quartiers populaires où ses partisans mènent des campagnes de prédication et d'aide caritative. Contrairement aux salafistes «scientifiques», qui prônent l'instauration de la loi islamique par des moyens pacifiques, Ansar Ashari'â, comme tous les jihadistes, considèrent que le recours aux armes peut être un moyen légitime d'arriver à leurs fins. Ansar Ashari'â, qui revendique quelque 40.000 membres, n'a jusqu'à présent pas appelé à une rébellion armée en Tunisie, mais ses relations avec les islamistes d'Ennahda qui dirigent le gouvernement tunisien se sont dégradées au fil des mois. Les autorités, après avoir longtemps toléré cette mouvance, ont multiplié les opérations contre les salafistes jihadistes, notamment après l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis le 14 septembre à Tunis. Mi-mai, Abou Iyadh, de son vrai nom Saif Allah Bin Hussein, a menacé de «guerre» les autorités tunisiennes et accusé Ennahda de mener une politique contraire à l'islam, consommant la rupture. En retour, les autorités ont interdit le congrès annuel d'hier à Kairouan d'Ansar Ashari'â, qui a décidé de défier l'interdiction. En fuite depuis septembre 2012, Abou Iyadh est soupçonné par la police d'être l'organisateur de la manifestation contre un film islamophobe qui a dégénéré en une attaque de l'ambassade américaine (quatre morts parmi les assaillants). Nombre de ses militants étaient déjà actifs sous le président Zine El Abidine Ben Ali, dont ils ont notamment combattu les troupes à Soliman fin 2006-début 2007. Certains vétérans d'Afghanistan ont été détenus dans la prison de Guantanamo et des dizaines d'entre eux ont connu la torture dans les prisons du régime déchu, avant de bénéficier à l'instar d'Abou Iyadh d'une amnistie générale post-révolutionnaire. Abou Iyadh, 47 ans, a été emprisonné de 2003 à 2011 en Tunisie. Avant son arrestation il était l'un des deux chefs du Groupe Combattant Tunisien en Afghanistan, cellule d'Al Qaîda. C'est ce groupuscule qui avait organisé l'attentat suicide commis par de faux journalistes ayant coûté la vie, deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001, au commandant Massoud, le chef de la résistance aux taliban afghans.