Les Irakiens débattent de l'organisation du prochain pouvoir temporaire alors que les chiites ne renoncent pas à leur requête. Deux soldats et un civil américains ont été tués lors des dernières quarante-huit heures à Bagdad et Baaqouba. Au plan politique, c'est l'organisation de la transition qui accapare les débats alors que les chiites tiennent toujours pour incontournables des élections directes ou, à tout le moins, la mise en place de normes garantissant la représentativité de la future assemblée constituante provisoire. La situation sécuritaire, malgré le calme qui a suivi les spectaculaires attentats contre les forces de sécurité irakiennes faisant près de 200 tués en une semaine, reste précaire comme en témoigne le harcèlement contre les militaires américains dont un convoi a été l'objet d'un attentat, hier, à Baaqouba. Une bombe a explosé au passage d'un convoi militaire américain faisant un mort et quatre blessés parmi les soldats. Un autre soldat américain a été tué et son collègue blessé par l'explosion d'une autre bombe artisanale dans le centre de Bagdad, indiquent les services de presse de l'armée américaine. Au plan sécuritaire toujours, les services de la police irakienne ont réussi, hier, à capturer l'ex-chef du Baas du nord de l'Irak, Mohamed Zimam Abdel Razak Al-Saadoun, réalisant ainsi leur première arrestation de l'un des dirigeants de l'ancien régime, figurant en 41e position sur la fameuse liste des 55 dirigeants irakiens les plus recherchés par l'armée américaine. Restent toujours en cavale 11 dirigeants, dont l'ancien numéro 2 du régime Ezzat Ibrahim Al-Douri. Notons toutefois que l'ancien président du parlement irakien sous Saddam Hussein, Saâdoun Hamadi, a été relâché hier par l'armée américaine. Outre la persistance de la précarité de la situation sécuritaire, la grande préoccupation de la puissance occupante américaine, demeure la mise en oeuvre de l'accord du 15 novembre consistant en la mise en place d'une assemblée provisoire et l'organisation du transfert du pouvoir aux Irakiens d'ici au 30 juin prochain. La question achoppe sur l'opposition des chiites à la désignation de l'assemblée constituante qui, selon eux, ne peut pas être représentative de la réalité de l'Irak, (les chiites constituent la majorité de la population). Appelé à la rescousse pour évaluer la faisabilité d'élections directes, l'ONU estime que les conditions actuelles ne s'y prêtent pas. De fait, dans une conférence de presse, M.Brahimi, conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU et chef de la mission onusienne en Irak, écarte d'emblée la possibilité d'organiser des élections directes avant le transfert de pouvoir. Aussi, il ne fait pas de doute que l'ONU, qui fera connaître officiellement ses propositions dans les dix prochains jours, suivra les recommandations de sa mission d'évaluation en Irak. Ne renonçant toutefois pas à s'assurer de la représentativité de la future assemblée provisoire, les chiites indiquent disposer d'un plan alternatif, qu'ils rendront public dès réception de la réponse des Nations unies. Ainsi, selon cheikh Abdel Mahdi Al-Karbalaï «La marjaiya (direction religieuse chiite) a établi une série de solutions de rechange que nous ne pouvons pas dévoiler maintenant car nous attendons la réponse de l'ONU» (cf: la mission d'évaluation de l'ONU a été diligentée à la demande de l'ayatollah Ali Sistani, chef spirituel des chiites irakiens). Tout se joue, en fait, sur le principe d'élections directes au suffrage universel, en réalité incontournables, mais que les conditions actuelles, notamment sécuritaires, rendent aléatoires. Ainsi, selon Hoshayr Zebari, ministre des Affaires étrangères du Conseil transitoire de gouvernement irakien, qui a assisté samedi à une réunion, au Koweït, des pays voisins de l'Irak «tenir des élections dépend des conclusions des Nations unies sur la situation (...), mais ce que je crois, c'est que ce serait extrêmement difficile de tenir (...) des élections crédibles et justes avant le 30 juin». Le chef de l'administration américaine en Irak, Paul Bremer abonde dans ce sens, indiquant dans une déclaration à la chaîne de télévision américaine ABC: «Notre problème est que nous ne pouvons pas procéder à des élections à très court terme entre maintenant et juin», soulignant: «Donc, nous devons trouver d'autres solutions. La formule des caucus (assemblées électorales) est compliquée, toutes les méthodes seront compliquées.» Paul Bremer ajoute: «Les Nations unies doivent nous présenter quelques idées pour savoir comment organiser le transfert de souveraineté d'ici le 30 juin. Nous étudierons leur avis avec le plus grand sérieux», alors que Lakhdar Brahimi, chef de la mission de l'ONU, se trouvait encore en Irak. Un autre écueil se présente pour les Irakiens, celui de formaliser, au plus tard le 28 février prochain, le projet de loi fondamentale censée régir le pays durant les 18 mois de transition avant le transfert de pouvoir à un gouvernement légitime. Ce projet de Constitution sera-t-il prêt dans les dix prochains jours? L'interrogation est de mise face aux retards pris, par le Conseil transitoire de gouvernement, dans la gestion de la mise en oeuvre des institutions devant diriger l'Irak provisoirement jusqu'à la mise en place d'une Constitution et d'un gouvernement légitimes. De fait, devant la perspective d'un possible blocage, le Conseil transitoire irakien pense d'ores et déjà à son élargissement en incluant des courants actuellement non représentés et cela en prévision du transfert du pouvoir aux Irakiens. A ce sujet, Adnane Al-Assadi, représentant d'Ibrahim Al-Jaafri, membre du Conseil, indique: «Je ne pense pas que le pouvoir sera transféré au Conseil actuel mais à un Conseil élargi, dans lequel seront représentés tous les courants irakiens.» En tout état de cause, ce sera là l'un des points qui seront débattus dans le cadre des discussions sur la loi fondamentale.