Bouteflika lui-même est-il si différent des autres présidents qui ont eu à assumer la plus haute charge à la tête de l'Etat algérien? Dans sa dernière communication publiée tout récemment par la presse, l'ex-secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri rapporte un des épisodes peu glorieux qui ont émaillé la vie du mouvement national à la fin des années quarante et au début des années cinquante, juste à la veille du déclenchement de la proclamation du 1er-Novembre. M.Mehri raconte en effet qu'un groupe de l'OS (Boudiaf, Bitat, Didouche, Kechida) ont subi au centre de la capitale des attaques à coups de matraque et de barres de fer menées par des partisans de Messali Hadj. Le parallèle avec des pratiques d'aujourd'hui, où des militants qui se sont jurés de redresser le parti du FLN ont eu recours aux dobermans dans certaines wilayas puis ont été eux-mêmes agressés, à coups de barres de fer par les légalistes aux Pins maritimes, est facile à établir. C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles M.Mehri a tenté d'expliquer les dérapages d'aujourd'hui, les crises politiques ainsi que les comportements et les réflexes des dirigeants passés ou présents, même si l'ancien SG tente d'atténuer l'effet de son diagnostic en affirmant que cela n'est pas un aspect- congénital de ses dirigeants, mais plutôt un trait essentiel du régime et découle de sa nature. Or justement, la nature du régime, sa propension à se cabrer, à ruer, à ruser, à louvoyer, n'est-elle pas due au fait que ces mêmes dirigeants, tout en professant un discours rassembleur et mobilisateur, pratiquent au quotidien le calcul politicien, cultivent la duplicité du langage, professent une chose et font son contraire, privilégient la nomination de responsables par affinités régionales et tribales, voire familiales, au mépris des compétences que recèle notre vaste et beau pays et surtout ramènent le pouvoir non pas à être l'émanation de la volonté de la nation, mais à n'être que le produit de marchandages politiques entre les différents groupes d'intérêts. Bouteflika lui-même est-il si différent des autres présidents qui ont eu à assumer la plus haute charge à la tête de l'Etat algérien? Tous ont les mêmes tics, les mêmes tendances à s'entourer de leur smala, à traire le pis de la vache à lait, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Rien n'indique que le groupe (ou le clan) d'Oran soit différent du fameux BTS qui a mis l'Algérie en coupe réglée depuis 1962. Il arrive qu'on lise dans la presse des cris d'orfraie pour dénoncer le limogeage d'un directeur, originaire du triangle BTS, mais n'est-ce pas que très souvent ces responsables n'ont été nommés à ce poste que parce qu'ils n'ont dans leur CV que leur origine BTS? Si on cherche bien, on verrait qu'on aurait pu trouver des compétences égales ou supérieures dans les 48 wilayas d'Algérie. La manière peu élégante dont un ministre de la Santé originaire de l'Est a délocalisé une usine d'insuline de Tizi Ouzou vers Constantine est une preuve flagrante et aggravante. Le mieux n'aurait-il pas été de garder l'usine d'insuline à Tizi Ouzou tout en programmant un autre projet à Constantine, le développement économique devant être équitablement réparti sur l'ensemble du territoire national? Cependant, Bouteflika ne peut pas faire comme Ponce Pilate et se laver les mains des dérives régionalistes trop voyantes de son régime. Lui qui avait cassé des tabous au début de son mandat a malheureusement inventé de toutes pièces d'autres tabous, érigé d'autres murs, et dans certains endroits, approfondi les fractures et les divisions entre les Algériens. M.Mehri a raison de noter que le capital historique et populaire du FLN a été dilapidé et qu'il faut se ressaisir pour mettre fin à l'oppression, à la violence, à l'exclusion. Très bien. Mais tous ces dépassements dont fait part l'ancien membre du Gpra ne datent pas d'aujourd'hui et lui-même rappelle des épisodes amers et douloureux. En d'autres termes, il faut commencer à balayer devant sa porte et oser aller au-delà d'un simple ravalement de façade à l'occasion d'une élection électorale. Le FLN n'est pas un parti. Mise à part cette parenthèse de la présidentielle, qui va faire remonter à la surface les rancoeurs, les inimitiés, les renversements d'alliances, les coups fourrés, les retournements de veste, nul ne sait, pas même M.Mehri, si l'Algérie est mûre pour un saut qualitatif dans la gouvernance. Le mal de l'Algérie, et là M.Mehri a vraiment raison de le noter, c'est le zaïmisme, lui-même source de tous les autres maux, y compris les interventions d'une institution militaire qui a trop longtemps joué les parrains politiques - ce que M.Mehri a qualifié de force extérieure, et qui a des procédés particuliers pour faire revenir le FLN à «la maison de l'obéissance». En fait le système politique algérien tient du naja, ce serpent proche du cobra et qui a l'habitude d'hypnotiser d'abord sa proie avant de la dévorer. Quand on voit tout le show médiatique et tout l'étalage de qarqabous, de salamalecs, les zornas, les cornemuses, on se surprend à rêver à une campagne à l'américaine, où le spectacle joue un rôle primordial, mais avec une élection ouverte et transparente où les choses se déroulent tout au long d'une année, à travers des caucus et des primaires. Bien évidemment, on ne peut pas comparer la plus vieille démocratie du monde à une démocratie balbutiante et vacillante.