Il est 11 heures du matin, ce 6 octobre 1949. Le père Maheu est dans son champ, près du village de Vercel, dans le Morbihan, avec ses deux fils Yves et Jean-Marie, ainsi qu'un ouvrier agricole, Fritz Werner, un Allemand, ancien prisonnier de guerre, qui a préféré rester après sa libération, n'ayant personne qui l'attendait chez lui. Soudain, le père Maheu dresse l'oreille. Un bruit insolite vient de retentir. — Ecoutez donc. On dirait que ça vient de chez les Gaboriau... Cela vient, en effet, de la grosse ferme des Gaboriau, derrière le bosquet bordant le champ, et c'est très inquiétant. Toutes les vaches se sont mises à mugir en même temps et des hennissements retentissent à leur tour. Une seule raison peut provoquer une pareille réaction animale : le feu. Justement, une fumée noire s'élève derrière les arbres. Le père Maheu a une exclamation épouvantée : — Bon sang, les enfants ! Abandonnant tout, il se précipite, en compagnie de Fritz Werner et de ses fils. Il arrête Jean-Marie, le plus jeune.. — Non, toi, va au village prévenir les pompiers. Tandis que Jean-Marie fait demi-tour, Yves questionne son père, tout en courant à ses côtés. — Pourquoi les enfants ? — Parce qu'ils sont seuls là-bas, les deux plus jeunes... Ce matin de bonne heure, en effet, le père Maheu a croisé les Gaboriau. Ils étaient dans leur carriole, avec leur plus grand fils, Jérôme, quatre ans. Comme tous les mercredis, ils allaient vendre leurs carottes au marché de Vannes. Ils ont expliqué qu'ils emmenaient Jérôme avec eux parce qu'il avait besoin d'une nouvelle paire de souliers, laissant à la maison les deux autres, Christian, trois ans, et le petit dernier, Rémy, six mois. Christian et Rémy, qui sont seuls dans l'incendie. Les trois hommes sont sur place en quelques minutes, mais ce qu'ils découvrent est pire que ce qu'ils pouvaient imaginer : presque toute la ferme est en flammes. Ils parviennent à entrer dans la cour où le chien pousse des aboiements de terreur en tirant sur sa chaîne. Dans l'étable et l'écurie, les cris des vaches et des chevaux sont assourdissants. Les poules et les canards, plus chanceux, ont pu s'envoler par le toit effondré du poulailler. Malheureusement, c'est dans les pièces d'habitation que l'incendie s'est propagé le plus vite. Des flammes énormes s'échappent par les fenêtres, qui ont explosé sous l'effet de la chaleur. Une fumée suffocante empêche d'approcher. Le feu a pris à une telle vitesse qu'il est vraisemblablement d'origine criminelle, mais l'heure n'est pas à ces considérations. Il faut absolument sauver les deux malheureux enfants, s'il n'est pas déjà trop tard... Le père Maheu et son fils tentent en vain de pénétrer dans le bâtiment. Seul Fritz Werner s'obstine, et parvient à s'engouffrer à l'intérieur. Les minutes s'écoulent, interminables. Les Maheu s'interrogent avec angoisse. Est-il prisonnier du brasier ? Va-t-il au contraire sortir en tenant dans ses bras un des enfants, ou les deux ? L'Allemand sort. Il est dans un état effrayant : il n'a plus de cheveux ni de sourcils, son visage est tout noirci ; il tape sur ses vêtements pour éteindre les flammes. Malheureusement, aucun des fils Gaboriau n'est avec lui. Il secoue la tête avec accablement. — Pas possible... Feu trop grand... A présent, d'autres personnes font irruption à leur tour. Ce sont les Cornavin, qui habitent le hameau voisin. Ils sont six en tout, avec leurs domestiques. Ils découvrent, effarés, le spectacle... Il faut tout de même faire quelque chose.