Un an après avoir remplacé Moubarak, Morsi a réussi l'incroyable exploit de réunir une grande partie des Egyptiens contre lui. Sa gestion, passée entre erreurs et maladresses, a fini par lui valoir un «dégage»comme ce fut le cas pour son prédécesseur. C'est exactement là qu'il ne fallait pas arriver et c'est justement là qu'il est. S'ils sont en nombre impressionnant à travers toute l'Egypte à demander le départ du premier raïs démocratiquement élu du pays du Nil, c'est parce que ce dernier a lamentablement échoué dans sa mission de sortir l'Egypte de la misère et du chaos. A vrai dire, mal conseillé par sa confrérie depuis son élection, Morsi n'a pas cessé de provoquer le peuple. On se souvient du bras de fer qu'il engagea contre la justice, des pouvoirs extraordinaires qu'il s'octroya pour faire passer une Constitution plus que controversée et, plus récemment, des nominations outrageantes des «mouhafed» à travers le territoire. Enivré par le soutien d'une certaine majorité lors de son élection, l'actuel président égyptien a commis l'erreur de croire pouvoir compter sur cette dernière. C'est ce qu'il a toujours laissé entendre, en tous cas, dans tous ses discours. Or, cette majorité n'était que conjoncturelle. Hétéroclite à tous points de vue, elle ne s'était formée que pour permettre la réalisation de trois objectifs: desserrer l'emprise des militaires qui hésitaient et tergiversaient lorsqu'il s'agissait de rendre la gestion aux civils, aider le pays à sortir de la situation de blocage qu'il vivait à l'époque et faire barrage aux rescapés de l'ancien régime. De ce fait, il y avait dans cette majorité «passagère», de tous les courants, de toutes les couleurs et, surtout, de toutes les composantes d'une société assez diversifiée sur les plans culturel, religieux, idéologique, social... et comme la désillusion ne tarda pas à venir du nouveau raïs, cette majorité fondit rapidement dans ses différences. Ceux qui restaient derrière Morsi, c'étaient surtout les membres de la confrérie des Frères musulmans dont il est issu. Le drame égyptien a commencé à être écrit depuis l'élection de Morsi qui représentait un couronnement indu et non mérité de la Gamaâ Islamya. On se souvient que les Frères musulmans étaient les derniers à descendre dans la rue lors de la révolution qui emporta Moubarak et l'on se souvient qu'ils avançaient même des arguments à cela pour ne pas s'attirer la colère des militaires et du régime en place. Les véritables meneurs de la révolution, les jeunes, ont été purement et simplement écartés par cette confrérie, une fois au pouvoir. D'ailleurs, on peut même se poser la question de savoir si la révolte égyptienne n'a pas été aussi facilement confisquée par les Frères musulmans à cause de la non-expérimentation de ceux qui l'avaient menée, à savoir les jeunes. Le parti de Morsi a piégé son candidat dès le départ. Il a investi les rouages de la politique faisant croire à tout le monde que l'élection de Morsi était l'élection des Frères musulmans, ce qui n'a jamais été la réalité. Les membres de ce parti se sont érigés en responsables de la conscience populaire et en «communauté élue» pourvue d'une mission divine avec, à la tête, un homme envoyé pour la circonstance. Les contre-manifestations qu'ils menaient chaque fois que le peuple descendait dans la rue était une preuve irréfutable de cette conviction si profonde chez les Frères musulmans qu'ils détiennent avec leur président, la vérité, la seule que les Egyptiens devaient accepter sans trop discuter. Or, maintenant c'est cet état des choses que les Egyptiens refusent de laisser s'installer comme nouvelle culture sociopolitique dans leur pays. Ils veulent se débarrasser de cette pensée unique, sacralisée à tort, que veulent imposer les Frères musulmans. Au 3e millénaire, on ne peut plus gérer un pays avec des mentalités usées qui n'ont rien à voir ni avec l'époque ni avec la religion. Les jeunes d'aujourd'hui comprennent la religion mieux que l'on croit et ils savent faire la différence entre la religion et l'hypocrisie, entre un religieux et un derviche. L'avancée des technologies de l'information a permis un saut qualitatif sur le plan de la connaissance à même de permettre de récuser tous les mensonges et tous les menteurs. Les jeunes ont compris la religion dès le moment qu'ils ont compris que le temps des prophéties est révolu et que le dernier messager de Dieu a été Mohammed (Qsssl). Ils ont aussi tout compris à la religion à partir du moment qu'ils se sont soulevé pour faire chuter le dictateur qu'était Moubarak et élire Morsi, mais ce dernier, piégé par les siens, s'est pris dans un jeu qui n'aurait pas dû être le sien. Aujourd'hui, l'Egypte est en danger. L'armée, jusque-là silencieuse, a compris l'importance de l'enjeu et s'est exprimée pour donner un ultimatum avant de prendre ses responsabilités. Demain prendra fin l'ultimatum. Que se passera-t-il? La rue ne veut qu'une chose: que le président s'en aille. Le président tente de s'agripper à son poste par tous les moyens. Les Frères musulmans savent que si Morsi quitte le pouvoir, leur organisation paiera incontestablement une lourde facture. Toutes les parties en présence ont des craintes certaines et des raisons sérieuses de camper sur leur position. L'Egypte est en ébullition. Tel est le bilan d'une année de gouvernance par Morsi, un ingénieur qui devait sauver l'Egypte post-Moubarak et qui, à voir les résultats, a échoué lamentablement. Ce qu'il y a lieu de lire du quotidien égyptien c'est que le printemps arabe, encore une fois, n'était que pur mensonge. Bâti sur le faux et l'irréel, il était destiné à basculer, un jour ou l'autre, dans la désillusion. Lorsqu'on sait que la désillusion est aussi tunisienne, depuis un certain temps, on se demande si ce qui arrive aux Egyptiens n'a pas toutes les chances de pincer un jour les Tunisiens pour les réveiller d'un sommeil qui n'a que trop duré. Par ailleurs, l'expérience égyptienne des Frères musulmans risque de ne pas se renouveler pour longtemps car elle représente un échec sans appel pour cette organisation. La question qui se pose est quelle va être la réaction de cette organisation face à son échec? Acceptera-t-elle de se retirer de la vie publique ou bien ira-t-elle jusqu'à l'affrontement pour tenter de rester au pouvoir? Là est la véritable question pour le moment dans une Egypte qui frôle tous les dangers. En tout cas, ce qui se passe dans la rue égyptienne aujourd'hui dénote l'incapacité de cette confrérie à gérer un pays. Les Frères musulmans seraient-ils meilleurs dans l'opposition qu'au pouvoir? Il y a lieu de le croire.