Le Conseil irakien s'est séparé, vendredi en soirée, sans parvenir à un accord sur la Constitution, avant la date butoir d'hier. Il n'y a pas eu de miracle pour un consensus, en dernière minute, sur la loi fondamentale provisoire devant gouverner l'Irak durant une période transitoire dont la durée reste à déterminer. Tard vendredi, le Conseil, travaillant sur la Constitution provisoire de l'Irak, s'est séparé sans être parvenu à trouver un accord sur un certain nombre de points de divergence, notamment la place de l'islam dans la future loi fondamentale, la question du fédéralisme, le rôle de la femme enfin. C'est encore l'islam, et sa place dans la loi fondamentale, qui fait aujourd'hui problème, non point du fait d'un désaccord insurmontable entre Irakiens, mais du fait du «veto» implicite de l'administrateur américain, Paul Bremer, déclarant n'accepter «aucune loi fondamentale faisant de l'islam la principale source de la loi». A partir de là c'était l'impasse, comme l'ont montré les multiples discussions, ces derniers jours, sans que les Irakiens parviennent à une solution. Ne semblant pas tenir compte du fait que l'Irak est un pays dont 97% de la population est musulmane les Etats-Unis donnent l'impression de vouloir imposer aux Irakiens une loi fondamentale «clé en main». Un diktat assimilé par le dirigeant radical chiite, Moqtada Sadr, comme une provocation frontale de la part des Etats-Unis de nature, selon lui, à remettre en cause tous les efforts en vue de redynamiser le consensus autour de la reconstruction du pays. De fait, dans le prêche de vendredi à Koufa - important centre chiite proche de la ville sainte de Najaf - Moqtada Sadr a mis en garde en indiquant que «L'Amérique n'est venue que pour nuire aux Irakiens, mais qu'elle sache qu'elle ne pourra pas annihiler l'islam» appelant «les croyants à rester prêts, en attendant les ordres de la Hawza (Conseil des hauts religieux chiites) de faire face à l'occupation», ajoutant: «J'appelle le Conseil (transitoire) de gouvernement à déclarer la révolte contre la décision de Bremer, et j'appelle Bremer à revenir sur ses déclarations.» L'autre point important de divergence sur lequel bute la loi fondamentale concerne le fédéralisme, cheval de bataille des Kurdes qui exigent que ce concept figure en bonne place dans la future Constitution. Ainsi, l'échéance du 28 février est passée sans que la loi fondamentale provisoire, devant régir le pays, soit adoptée et proclamée comme prévu dans l'accord du 15 novembre dernier entre la coalition et le Conseil transitoire de gouvernement. Outre cette question primordiale, dans la phase actuelle de remise en ordre du pays, subsiste le problème des élections directes réclamées par l'ayatollah Ali Sistani. En fait, ce dernier reste sur ses exigences de voir se tenir des élections avant la fin de cette année. Ainsi, dans un communiqué publié à Najaf, jeudi, le guide spirituel des chiites irakiens, tout en acceptant l'avis de l'ONU sur l'impossibilité de tenir des élections avant le 30 juin, indique «La Marjaïya (direction religieuse chiite) veut qu'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies garantisse clairement l'organisation d'élections d'ici à la fin de l'année 2004, ainsi que l'a spécifié le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan». Lui faisant écho, le président du Conseil transitoire de gouvernement, Mohsen Abdel Hamid, déclare à partir de Riyad «Comme les élections ne se tiendront pas avant le 30 juin, son éminence seyyed Sistani a le droit de demander que le vote ait lieu avant la fin de l'année. Nous espérons que ce sera le cas». Toutefois, dans une déclaration à la presse, Fred Eckhard, porte-parole de Kofi Annan a déclaré que l'ONU attendait une réponse des Irakiens indiquant «Nous attendons toujours une réponse des Irakiens pour qu'ils nous fassent savoir s'ils acceptent les recommandations de (Lakhdar) Brahimi (conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU et émissaire en Irak au début du mois de février)». En fait, dans leur précipitation à imposer leur propre concept de la gouvernance, les Américains semblent avoir perdu de vue les particularismes inhérents aux pays musulmans en général, et singulièrement le fait que l'Irak sorte à peine de trois décennies de dictature, plaçant ainsi la charrue avant les boeufs.