l'ANP ne fait que confirmer qu'elle se range derrière ce postulat de l'Algérie avant tout. Ce qui n'était qu'une rumeur, du reste relayée par de nombreux leaders politiques très au fait des moeurs du sérail, mais aussi qui ont leurs entrées dans les hautes sphères de la hiérarchie militaire, comme Mouloud Hamrouche et le général Benyellès, tend à s'avérer fondé au fur et à mesure qu'approche l'échéance présidentielle du 8 avril prochain. Il y aurait une sorte de contrat moral entre le président de la République et l'armée pour garantir une continuité à l'action de l'Exécutif sortant, avec, en toile de fond, la nécessité de ne pas perturber le bon fonctionnement des institutions. Et pourquoi ce constat? Tout simplement parce que, depuis 1988, l'avion Algérie est entré dans une zone de turbulences, et le système, à la recherche d'une stabilité aléatoire, avec une spirale de la violence qui a fait des milliers de victimes et désarticulé l'économie nationale, a usé autant de présidents que de chefs de gouvernement. L'arrivée en 1999 de Abdelaziz Bouteflika, présenté comme le moins mauvais des candidats, a laissé supposer au bout de quelques mois que le pays avait enfin trouvé l'oiseau rare, si des bruits n'avaient pas circulé, çà et là, sur les différends réels ou supposés entre le président et la grande muette. Entendons-nous bien : le pays a vraiment besoin de stabilité, et tant pis pour les tenants du coup d'Etat permanent et les partisans de la pêche en eaux troubles. Le corollaire de cette assertion est simple à établir: le citoyen, par le biais de son bulletin, reste souverain dans le choix de ses dirigeants. Et là, la question qui se pose est très simple : est-il possible de concilier les deux propositions? Avant de répondre à cette question, voyons d'abord le postulat de base, qui est le suivant: depuis 1962, c'est l'armée qui a désigné les différents présidents de la République : Ben Bella, Chadli, Boudiaf, Zeroual, Bouteflika lui-même. Quant à Boumediene, il était lui-même l'armée, donc son cas est à part. Sur ces entrefaites, Bouteflika est arrivé en 1999 et il a dit : j'ai certes été coopté par l'armée. Mais j'ai accepté de me soumettre à l'épreuve des urnes. J'ai été élu. La Constitution fait de moi le chef suprême des armées, et je suis ministre de la Défense. Qui plus est, au bout de la durée légale de cinq ans, je remets mon mandat en jeu dans le cadre de l'élection présidentielle, en respectant les règles du jeu de l'alternance. Le général major Mohamed Lamari ne dit pas autre chose. En affirmant à un journal égyptien que l'armée est prête à respecter le président sorti des urnes, fût-ce l'islamiste Abdallah Djaballah, il a en fait, d'une manière qui n'est pas du tout innocente, fait faire à l'Algérie un pas considérable dans la voie de la démocratie. Non seulement l'armée se consacre désormais à sa modernisation et à sa professionnalisation, notamment pour préparer son entrée dans l'Otan, mais en plus, elle ouvre un autre chapitre dans la situation générale du pays. Celui de la stabilité. C'est Slimane Amirat, si nos souvenirs sont bons, qui avait déclaré que l'Algérie était au-dessus de tout. En passant un deal avec le président, basé sur la recherche de la stabilité des institutions, l'ANP ne fait que confirmer qu'elle se range derrière ce postulat de l'Algérie avant tout, pour reprendre l'expression d'un autre grand historique, à savoir Mohamed Boudiaf. Les candidats en lice pour la présidentielle d'avril 2004, notamment ceux qui sont regroupés dans le groupe des dix, ont, tout en saluant la neutralité de l'armée, émis un certain nombre de conditions pour assurer, d'après eux, la transparence des urnes. Le départ du gouvernement Ouyahia fait partie de ces conditions. Maintenant que tout le monde sait que ces conditions ne seront pas satisfaites, vont-ils en tirer les conclusions que l'armée s'est rangée derrière Bouteflika ? Et vont-ils, comme l'avait fait le groupe des six, en 1999, retirer leur candidature? Première remarque : la situation de 1999 est totalement différente de celle de 2004. Le retrait prématuré de Liamine Zeroual de la course à sa propre succession, n'avait pas permis d'ancrer des traditions d'élections ouvertes. Ceux qu'on appelle les décideurs ont cherché parmi la brochette de prétendants le bon cheval pour assumer la plus haute charge de l'Etat et donner au pays une stabilité dont il avait besoin. La situation sécuritaire aussi est différente. Quant à la question économique, il n'y a qu'à entendre ce que déclarent les opérateurs étrangers : le flou politique n'est pas propice à l'investissement. On peut donc dire que s'il y a deal entre le président et l'armée, cela ne peut être que dans l'intérêt du pays qui a grandement besoin de la stabilité des institutions pour se consacrer à l'essentiel : la construction. Par ailleurs, un tel deal n'entame en rien les chances des autres candidats en lice, notamment les plus importants, comme MM. Ali Benflis, Taleb, Djaballah, ou d'autres, qui peuvent très bien créer la surprise au soir du 8 avril, pour peu que l'administration ne généralise pas la fraude.