En avant-première mondiale, Saïd Ould Khelifa a sorti avant-hier à Alger, son film hommage aux citoyens assassinés. «Le film raconte comment revenir de si loin et gérer ses peurs», a expliqué le réalisateur Saïd Ould Khelifa avant-hier soir, lors de l'avant-première mondiale de son film Thé d'Ania à la salle Ibn Zeydoun de Riadh El-Feth. Et comme il est rare que nos salles de cinéma abritent des avant-premières, celle-ci s'est déroulée dans une ambiance particulière, empreinte d'effervescence et de brouhaha des grands jours, en présence de la ministre de la Communication et de la Culture, Mme Khalida Toumi, le directeur général de la télévision algérienne, M.H.H.Chaouki, et des gens du 7e art, notamment des réalisateurs et producteurs à l'image de Mohamed Chouikh, Bachir Derraïs et Merzak Allouache. Le film très émouvant évoque en filigrane la décennie noire où psychiatres, journalistes, enseignantes, hommes de théâtre, et autres écrivains sont assassinés chaque jour. Thé d'Ania s'ouvre sur la baie d'Alger. Alger devenue ville morte. «Près de 150.000 morts et de nombreux disparus», lit-on sur l'écran. Un écrivain (Miloud Khetib) alias Mehdi est cloîtré dans sa chambre. Son téléphone ne cesse de sonner... Sa voisine d'en face est une Française, enseignante dont le lycée a été brûlé. Et pourtant, elle ne veut pas retourner en France. Chaque jour, elle vient chez Mehdi et dépose au bas de sa porte un plateau de thé et de gâteaux, puis s'en va. A l'extérieur, Alger suffoque sous la chaleur du mois de mai tandis que Mehdi à l'intérieur de sa maison «étouffe» sous le poids de la menace terroriste. Le temps semble figé, l'air est angoissant. Pour enfoncer le clou, Mehdi travaille à l'APC au service d'enregistrement des décès. Sa secrétaire, Djamila Bachène, lui énumère chaque jour la liste macabre. Pour elle, c'est plutôt du noir sur blanc qu'elle note sur le papier de sa machine à écrire. Ses autres voisins s'appellent Krimo (Karim Bouaïche) dont le frère est un ancien terroriste, cette jeune fille (Sonia Kou ) nt la famille fut décimée lors de l'attentat à la bombe à l'aéroport Houari-Boumediene... Mehdi a deux amis, deux drôles de rigolos interprétés par Rachid Farès et Djamel Allam. L'un finit par se marier et l'autre part en France. Bien que «lourd», plus ou moins ennuyeux et décalé, le film finit tout de même par accrocher l'attention du public. Sa trame n'est pas linéaire, sa chronologie désarticulée et son écriture éclatée. Thé d'Ania signifie plus qu'il ne montre. Ou comme dirait Djamel Allam «il ne s'explique pas. Il se ressent». En effet, coécrit par Lou Inglebert S.Ould Khelifa et adapté du roman en langue française d'Amine Zaoui, Sommeil du mimosa (sorti en 1997 aux éditions Serpent à plumes - Paris), ce film s'inscrit plutôt dans le genre art et essai et suit la «courbe» littéraire du nouveau roman dans la même veine d'un Alain Robbe Grillet ou d'un Butor. Ce film psychologique a dû donc dérouter plus d'un non-initié. Cependant, sa thématique se passe de toute explication. «J'ai fait ce roman en hommage à la mémoire de quelques intellectuels assassinés. Ce film traite de la dernière décennie algérienne avec tout l'espoir de sortir de l'enclos, de l'enfermement vers la vie, notamment grâce à l'amour», nous a confié le romancier Amine Zaoui, lors du premier tour de manivelle du film Mehdi d'Alger (titre initial) qui a eu lieu au mois de mai dernier au siège du commissariat de l'Année de l'Algérie en France, qui a soutenu financièrement le film, sans oublier le CNC (Centre national du cinéma) et TV5. Rappelons également que le film est une coproduction algéro-française, ayant comme partenaire la télévision algérienne, CIM Audiovisuel et AGAT Films. L'amour comme clé de survie sera l'élément déclencheur qui suscitera chez notre écrivain l'envie de vivre. Malgré tout. Et puis, écrire des histoires d'amour comme une promesse d'un avenir meilleur. Mehdi finira par rendre l'assiette à sa voisine Ania qui «commençait à voir le temps long». Un premier contact, Un vrai. Et puis, ils finissent par s'attacher l'un à l'autre. La vie reprend les couleurs de l'espoir. L'optimisme enfin. Mehdi est sauvé de justesse d'un accident de la route. Ce n'est pas tout le monde qui lui veut du mal. Cependant, «le courage est algérien, la lâcheté aussi. Il y a des milliers d'orphelins dans ce pays, faut-il pardonner?», se pose-t-on la question dans le film. Une réflexion qui n'est sans doute pas fortuite. Imprégné paradoxalement d'humanisme et de tendresse, ce film Thé d'Ania n'est pas sans rappeler la candeur quasi naïve d'une Amélie Poulain. Par sa musique aussi, signée Marc Perrone. Sans omettre bien sûr, la transe musicale du groupe Index qui permet à notre écrivain d'exorciser ses démons...