«Métier d'auteur, métier d'oseur.» Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Il est difficile d'être crédible si on veut être à tout prix réaliste et restituer objectivement les diverses facettes de la réalité telle qu'elle est perçue par les différents protagonistes impliqués dans l'intrigue. La langue de bois est l'ennemie même du réalisme: on ne peut pas (on n'a pas le droit!) de créer un personnage fait tout d'une seule pièce. Un flic, un juge, un inspecteur des impôts, un instituteur, un guide touristique, un maire, un douanier, un avocat, un receveur de bus, un médecin de campagne, une infirmière d'hôpital, un chauffeur ou un pompier, enfin tous les individus ayant un rôle actif dans cette société, ont tous quelque chose en commun: ce sont des hommes ou des femmes, avec chacun des aspects positifs et des aspects négatifs dans leur caractère, simple ou complexe. Ils ont des désirs, des besoins, des sentiments... L'énumération de toutes ces professions disparates aussi différentes et aussi complémentaires les unes des autres, le fit sourire: voilà un filon inépuisable pour tout esprit imaginatif qui a prise sur la réalité. Il manquait certes, un métier à ce tableau non exhaustif. C'est celui de journaliste. Voilà un métier dont on ne parle qu'épisodiquement: à l'occasion de l'inhumation de celui qui a mis sa vie au service de la presse écrite, parlée ou télévisée, à l'occasion d'un énième passage devant le juge ou plus rarement à l'occasion d'une cérémonie d'hommage vite expédiée... Voilà pourtant un métier qui mérite une attention particulière au moment même où le pauvre lecteur est sollicité par des centaines de titres dont tous ne portent pas en leurs pages intérieures les promesses d'une écriture soignée ou racoleuse. C'est une profession qui a vue sur toutes les activités du pays sauf, peut-être celles qui se passent sous les tables ou dans l'ombre...Et encore, il y a des journalistes assez astucieux pour se glisser dans le mécanisme complexe des milieux interlopes pour pouvoir décrire la face cachée des choses. Je ne parle pas de ceux qui reçoivent de fausses confidences afin qu'ils puissent propager des ballons d'essai... Une sorte «d'infox», en quelque sorte. Il sourit déjà à l'idée d'ouvrir son premier chapitre par le célèbre portrait esquissé jadis par un billettiste de talent: «Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c'est lui». Il commencerait bien par un entretien d'embauche de ce jeune étudiant sorti tout frais de l'école et qui, sans réfléchir, est allé frappé à la première porte située non loin de l'hôtel miteux où il échouait chaque nuit après une harassante errance dans les rues d'une ville qui lui semblait hostile, parce que peu hospitalière. «Il s'était engagé dans une rue peu passante, trouva la plaque de faux marbre fêlée, grossièrement vissée sur un mur qui n'a pas essuyé de pinceau de peinture depuis l'Indépendance... Après avoir enjambé un monticule de terre qui barrait l'entrée, il s'est engagé dans un large escalier de bois vermoulu dont l'état des marches conseillait prudence et circonspection. Le fameux journal, dont il ignorait le titre jusqu'à la veille, était loti au 8e étage de cet immeuble qui paraissait désert. Quand il frappa à la porte, un homme courtaud lui ouvrit la pesante porte blindée et lui demanda, après l'avoir dévisagé d'une curieuse façon, d'une façon abrupte, la raison de sa visite. Le jeune journaliste balbutia le prénom du directeur en ajoutant avec précaution un «Si» de circonstance. Le vieux bonhomme l'introduisit dans un réduit qui devait servir de salle d'attente et lui dit d'attendre car le directeur en question était en réunion. Cela ne fit qu'augmenter le suspense dans l'esprit du pauvre candidat qui retrouvait là, l'atmosphère angoissante des examens de fin d'année...»