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Patrimoine, mémoire et traditions revisités
RAMADHAN À LA CASBAH
Publié dans L'Expression le 06 - 08 - 2013

«Mme Amina Belouizdad en compagnie de E'lla Ouerdia la centenaire native de la Casbah»
une importante action culturelle de proximité a été menée à la médina d'Alger et ce, à la faveur du mois sacré du Ramadhan.
A l'initiative commune de la direction du Musée des arts et traditions popu-laires et de l'Association Les amis de la rampe Louni Arezki Casbah, une importante action culturelle de proximité a été menée à la médina d'Alger et ce, à la faveur du mois sacré du Ramadhan. C'est le splendide palais Dar Khedaouedj el Aâmia qui a abrité un événement culturel marquant, auquel aspirait la population depuis fort longtemps et qui est toujours un voeu de revoir, dans un jour proche, la Cité éternelle renaître à sa vocation civilisationelle d'antan.
Ce lieu évocateur, repère d'histoire et de culture a accueilli le soir du 22e jour du Ramadhan, une très nombreuse assistance ravie d'être un moment transposée dans les allées d'une mémoire collective éprouvée par les avanies du temps et de l'oubli hideux, destructeur des éléments culturels structurants de la personnalité algérienne. Les rues du palais Dar Khedaouedj el Aâmia ont ainsi connu une euphorie exceptionnelle, hélas perdue depuis des lustres, mais par bonheur, générée en la circonstance par un véritable mouvement de foule, de femmes, d'hommes et surtout de jeunes qui arpentaient par grappes ininterrompues les escaliers de l'ancien et célèbre quartier Souq el Djemaâ au coeur de la basse Casbah. Cette ambiance inhabituelle des grands jours a inspiré un groupe de jeunes qui, visiblement heureux, ont tenu à exprimer leur joie de se ressourcer en des lieux mythiques du souvenir et de la pensée. Un heureux présage d'espoir pour un sursaut de résurrection de nos traditions ancestrales et de notre culture dans l'enceinte de la légendaire Citadelle matrice-témoin des temps glorieux dans la destinée d'une nation.
Emouvante communion
Cette rencontre intergénérationnelle est en ceci faconde à travers une symbolique incarnée par une chaleureuse et émouvante communion évocatrice des tranches d'âges de l'assistance présente qui, de six à 101 ans a vécu une intense réjouissance d'être réunie avec aïeux et descendants.
Le palais Khedaouedj el Aâmia s'est ainsi avéré trop exigu au regard de la très forte affluence où l'on a remarqué la présence aussi nombreuse de personnalités à l'image de Ali Haroun, un des dirigeants de l'historique fédération de France du FLN, l'écrivain de renom, Kaddour M'Hamsadji, une éminence de référence en pédagogie culturelle et éducative, le Pr émérite Djilali Sari, auteur de nombreux ouvrages d'histoire, le Pr Yacine Khaldi, neurochirurgien à l'hôpital Aït Idir, Casbah, Amina Belouizdad, l'icône de la Radio et Télévision algériennes de l'Indépendance accompagnée de sa fidèle amie Fatiha, fille du célèbre comédien Mohamed Allalou, l'expert international en économie énergétique, Mourad Preure ainsi que le président de l'Association des médérsiens, Mourad Aït Belkacem. Malika Lafer Anissa Batel, vétérantes et talentueuses animatrices de la Chaîne III de la Radio algérienne, dames férues de culture, ont tenu à être présentes à ce ressourcement de la mémoire de la Casbah tant aimée. L'épouse et la fille du regretté Moh Akli, frère de l'emblématique Hadj M'rizek et prince du tar, étaient aussi de la partie.
La communauté universitaire était présente en force, étudiants et enseignants à l'exemple de la Pr Dalila Djerbal, l'épouse de l'historien de notoriété Daho Djerbal et de la Pr en psychologie, Dalila Haddadi de l'Université de Bouzaréah.
La thématique de cette rencontre conviviale qui s'articulait sur la réappropriation de la tradition ramadhanesque dans le rite citadin algérois s'est traduite par un programme lié à notre patrimoine de la culture d'oralité. Comme de tradition, la soirée a été entamée par le «tadjouid» d'un verset coranique plasmodié dans l'harmonie gutturale du rite citadin algérois par Djamel Soufi secrétaire général de l'Association et fils de Mohamed Soufi, un référent populaire connu à la Casbah pour avoir été imam pendant les années 1940. Par sa douce et berçante voix cristalline, Si Djamel Soufi a ému toute l'assistance, convertie dans une béatitude de recueillement au souvenir des traditions de piété religieuse de nos ancêtres et de nos aïeux qui furent par leur pratique sociale, une source et un modèle rayonnant de dévotion et de foi dans les préceptes civilisationels de l'Islam. Après une allocution de bienvenue prononcée par Mme Aziza Amamra et l'auteur de ces lignes, respectivement directrice du Musée des arts et traditions populaires et président de l'Association les amis de la rampe Louni Arezki Casbah, ce fut au tour d'un enchaînement musical exécuté par l'orchestre chaâbi du talentueux chanteur El Hadi Rahmouni qui, magistralement, interpréta une sensationnelle touchia suivie d'un riche répertoire de medh et qasaïd, de circonstance.
La poésie populaire dans la langue parlée d'Alger était aussi au rendez-vous avec Yacine Ouabed, le célèbre barde du terroir, qui a émerveillé l'ensemble de l'assistance par la beauté et le raffinement d'une poésie populaire très expressive et géniale par la métaphore et la symbolique. Rabah Haouchine, vice-président de l'Association qui est également à ses heures, un poète prolifique, à la verve esthétique, dans la puissance du verbe et la rime des mots, a pris le relais déclamatoire pour séduire à son tour le public.
L'enfant et le Savoir
L'inédite surprise de la soirée fut celle créée par un acteur culturel enfant, de par son âge de six années, qui a déclamé avec une intonation émouvante un poème intitulé El ilm (le Savoir).
Une forte symbolique «fal qui est un heureux présage chez nous», porteuse d'espoir et d'optimisme pour l'épanouissement de notre culture à travers un hommage ainsi solennellement célébré dans un repère patrimonial à la Casbah par Youcef Rezagui qui est ce mignon bout de chou prodige, à l'intelligence précoce.
Applaudi dans une ambiance chaleureuse de convivialité, l'enfant imprégné par le contexte traditionnel de cette soirée se souviendra toujours du Ramadhan fêté à la Casbah et de surcroît, dans un musée en liesse ce soir-là. C'est Rachid Rezagui, père et aède connu pour la magie de ses mots et auteur de deux recueils de poésie qui donna la réplique à son chérubin par un fabuleux Achouiq en tamazight surgi du fond des âges de la traditionnalité ancestrale. Pour la sauvegarde et la résurrection de notre culture d'oralité, l'écrivain Kaddour M'Hamsadji auteur de El Qasbah Ezman et de la Boqala, a savamment développé une rétrospective de ce jeu de société d'origine féminine pratiqué essentiellement pendant le mois sacré de Ramadhan. Intégralement lié à l'histoire d'Alger et plus particulièrement à la course en Méditerranée pendant les XVIe et XVIIe siècles, ce jeu de la boqala recèle une richesse culturelle infinie et constitue une véritable anthologie de merveilleuses poésies féminines dont la structure s'articule sur des facultés d'intelligence, de talent et de divertissement intellectuel dans un rythme et une rime d'une fascination esthétique. Très répandue à l'époque dans la médina d'Alger, ce vestige culturel citadin qui est un legs ancestral transmis par générations successives à travers l'oralité, a malheureusement disparu d'une mémoire collective, celle de la jeunesse, surtout hélas, amputée ainsi d'un segment patrimonial.
Pour conjurer ce mauvais sort, le rituel de la boqala a enfin ressuscité un moment au palais Khedaouedj el Aâmia à l'émerveillement d'une assistance extasiée par les sublimes déclamations de E'lla Ouerdia Hamadou, la centenaire, native de la Casbah et Mme Mimi, une dame de grande popularité au quartier dit le «deuxième» de l'ex- rue Marengo à la Casbah. Gageons que des efforts seront accomplis tant au sein de la société que du mouvement associatif et institutions concernés pour la valorisation, le rayonnement et la sauvegarde de notre patrimoine immatériel d'oralité qui, dans l'immensité de sa richesse, constitue le substrat culturel de la personnalité algérienne dans la plénitude de son authenticité. Nous terminerons dans la sérénité de l'espoir par cette citation révélatrice qui nous rappelle que les traditions se perdent, alors que le vrai progrès n'est qu'une tradition qui se prolonge.
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