Il faut séparer le bon grain de l'ivraie Etonnante réflexion, sans doute, mais la réalité est là... Peut-être est-ce une boutade. Pourtant, on sait que le choix de sa lecture est un indicateur assez significatif pour se connaître soi-même et se reconnaître dans la société des «liseurs invétérés». Je lis donc je suis. Je lis tel genre d'ouvrage donc j'appartiens à telle classe sociale. Tout acte de lire est intention d'atteindre un but; il est dans l'intérêt spécifique que la lecture éveille chez toute personne... Disons simplement que pour un lecteur à l'esprit exercé, aucune journée n'est entièrement perdue. Car - n'est-il pas vrai? - La lecture personnelle, dans le silence de soi, est en même temps point de départ et d'arrivée d'un nouvel esprit humain. Voyons, tendons la main vers un ouvrage de notre Petite bibliothèque de l'été 2013. LES SANGLOTS DE CESAREE de Nadia Sebkhi (Editions L. de Minuit, Alger, 012, 219 p.); «[...] Et je viens donc de lire Les Sanglots de Césarée: une oeuvre bouleversante, et certainement authentique autant par le sujet du récit que par les personnages. Tout y est pur, sans abondance inutile que ce soit dans le langage, dans l'image ou dans l'action. Toute une âme y est passionnée, inquiète, sanglotant dans le silence, en prière devant Dieu et souvent devant son diable (ici nommé Hadi!), excessivement affectueuse et révoltée, avec harmonie, de toutes ses fibres humaines. Les récits de Lyna et Rasha (en arabe, veut dire «le petit de l'antilope») se croisent; ils sont enguirlandés de réflexions en strophes pétries de poésie ouvrée par une femme-auteur qui, «insatiablement quêteuse», écrit, sans aucun tabou, sa «rébellion»; les plaintes et les longs soliloques de ces deux soeurs sont alors échos balbutiés et leurs prières différentes, car leurs maris sont différents. Là où doit être leur part d'épouses heureuses, là est surtout leur lieu de supplice de femmes soumises ou rebelles. Que faudrait-il faire pour ne plus souffrir? Qui pourrait changer le cours d'un fleuve antique rocailleux, livré aux affronts des temps stériles? Que de symboles encore inexpliqués et pleins de tourments! [...] Mais hélas! le véritable martyre n'est pas loin sur la route... Je laisse le suspense entier pour le plaisir de lire et de découvrir ce qui va se produire. Après avoir lu Les Sanglots de Césarée - ce titre est très significatif de l'objet du roman -, le lecteur éprouvera une surprenante sensation, tout comme dans le poème Correspondances de Charles Baudelaire, «L'homme y passe à travers des forêts de symboles.» Nadia Sebkhi a fait là une belle réussite de son projet: une esthétique d'écriture et une illustration de sa juste pensée, par l'exemple.» L'IMPASSE DU MALTAIS de Djamel Eddine Merdaci (Casbah Editions, Alger, 2012, 286 p.): «Djamel Eddine Merdaci reste fidèle à ses rêves d'arts et de lettres élaborés et exprimés au cours de sa longue et riche profession de journaliste et de son expérience d'écriture et de critique dans le domaine audiovisuel, notamment dans le cinéma et la radio. En effet, dans son livre L'Impasse du Maltais, il fait resurgir notre Histoire par fragments apparemment insolites mais qui, vite remis à leur place exacte, clarifient le centre d'intérêt abordé et relancent la recherche dans une voie nouvelle, encore plus captivante, plus palpitante, plus algérienne... En surplus, l'allégorie (les inondations meurtrières de novembre 2001 de Bâb El Oued-Alger qu'il décrit et qui sont, à la fois, le principe motivant et l'écho lointain qui résonne au creux de ce cataclysme dans lequel des bigots voient un «signe probant de la colère divine»), prend tout son sens. [...] «Dans ce roman, qui reste heureusement roman au sens noble du genre, se déroule une enquête policière, certes, mais menée de main de maître et valorisée par une critique sociale éclairée visant un ensemble de faits historiques tronqués, ignorés ou oubliés, égrenés par Djamel Eddine Merdaci dans un segment important du grand chapelet de l'Histoire de notre pays. J'y ai aimé un certain lyrisme de bon aloi, tout simplement un sentiment d'homme-écrivain, dans une oeuvre d'un genre de littérature complexe, car, contrairement aux apparences, le roman policier - s'il en est et s'il en est question ici - appelle au devoir d'écriture impeccable et de vérité irréfutable pour donner vie et consistance à notre littérature, tellement malmenée par une «gendelettrerie» qui est à elle-même sa matière et sa propre fin. Je dois dire, au contraire des laudateurs quémandeurs de faveurs, que Djamel Eddine Merdaci est, selon cette belle formule, «un journaliste qui a des idées et qui sait les exprimer», - un écrivain? Evidemment!» 1962, FRÈRE PARMI LES FRÈRES, DANS LES PAS DE JEAN SENAC In revue ALGERIE LITTERATURE / ACTION, Numéro 157-162 Spécial Cinquantenaire de l'Indépendance algérienne, (Marsa Editions, Paris, 2012, 159 p.): «[Je l'ai déjà dit, mais je le répète pour la vérité des faits]: Il est des poètes, dont les ailes soudain trop encombrantes pour eux, car formées à l'ambition absolue d'être et de paraître, se font - hélas! bouffons des gens utiles à leur fortune et deviennent parfois odieux. [...] En ce Cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie, le nom du poète Jean Sénac (né à Béni-Saf, le 29 nov.1926 et assassiné à Alger, le 30 août1973) doit être rappelé légitimement dans l'histoire de la littérature algérienne de combat contre le colonialisme et tout particulièrement dans celle de la guerre d'Algérie (1954-1962). En effet, à quelques mois de notre glorieux Premier Novembre 1954, Jean Sénac transcrivait déjà dans un de ses carnets, avec les mots de l'époque pour bien se faire comprendre par la haute société coloniale, son cri de conscience humaine, longtemps formé et retenu durant sa jeunesse difficile parmi ses proches à son coeur et épris d'amour et de justice tout comme lui pour «son Algérie». Je note entre autres de ses déclarations répétées par lui mille et une fois, celle-ci: «Parce que je suis algérien et que j'aime mon pays, parce que j'aime aussi profondément la France réelle, j'embrasse la cause des Arabes, notre cause. [...] Après cela, je constate que dans ce «Spécial cinquantenaire» de la revue Algérie Littérature / Action, pourtant s'annonçant comme devant traiter du «Frère parmi les frères» et soit donc de nous retrouver «dans les pas de Jean Sénac», peu de pages signées, me semble-t-il, lui sont réellement consacrées. J'y ai lu «En guise de sommaire», l'innovante et suggestive présentation de Marie Virolle que suivent indispensablement pour situer quelque peu les activités créatives de Sénac, les articles pertinents intitulés «Un éditeur en guerre d'Algérie: Jean Subervie» et «Jean Sénac et le CIRBUA» de Hamid Nacer-Khodja, ami de Jean Sénac et «gardien inspiré de sa mémoire». Sans aucun doute, les autres articles (excepté peut-être quelques inexactitudes qu'il serait vain de relever ici) sont, par eux-mêmes, fort intéressants puisque, textes et images à l'appui, de nombreuses personnalités de la culture et de la politique, du fait de leur fonction, de leur pouvoir et de l'éventuelle efficacité de leurs actions directes ou indirectes, Jean Sénac les a, à un moment ou à un autre, rencontrées et souvent a travaillé avec elles. Ainsi, le lecteur apprend-il à les connaître et à bien juger du rôle actif de Sénac dans ses domaines de prédilection: la poésie, l'édition, les arts,... l'engagement politique en faveur du peuple et la communication culturelle tous azimuts, et spécialement vers la jeunesse. [...] Néanmoins, une chose me froisse le coeur depuis peu, mais je me console en me répétant cet apaisant proverbe de chez nous: «La mouche tombée dans l'eau que l'on boit ne tue pas, elle soulève le coeur seulement. [...] Je tiens enfin à livrer à la réflexion du lecteur, deux vers de Jean Sénac - peut-être l'aveu d'un rêve inabouti -, deux vers extraits de sa Préface pour un élan (Alger, 20 septembre 1972): «J'ai cru connaître / Et je suis ignorant.» À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2013 dans Le Temps de lire de mercredi prochain.