Le risque de frappes américaines semble s'éloigner Une fois que la Syrie se sera débarrassée de ses armes chimiques, il ne restera au Moyen-Orient qu'Israël qui dispose d'armes de destruction massive, en l'occurrence d'armes nucléaires. La tension autour de la Syrie est montée de façon dramatique ces derniers jours, mais les diplomates n'ont pas baissé les bras pour éviter une escalade sous forme de frappes militaires que les Occidentaux disaient préparer et que tout le monde aurait regretté car elles constitueraient un recul inacceptable du droit international. Les Russes excellent dans le jeu d'échecs, néanmoins, leur proposition consistant à mettre les armes syriennes sous contrôle international n'était pas destinée à mettre «échec et mat» les Etats-Unis, mais à les aider à sortir d'un bourbier dans lequel ils sont imprudemment tombés en raison de cette fameuse «ligne rouge» tracée par le président Obama. La proposition russe a été préalablement discutée avec les Etats-Unis La proposition russe n'est pas tombée subitement du ciel. Elle a été certainement discutée par les présidents Poutine et Obama en marge du Sommet du G20 de Saint-Pétersbourg. Les deux chefs d'Etat ne voulaient pas et ne pouvaient pas renier leurs positions sur le conflit syrien, mais cherchaient une issue à même de sauver la face à tout le monde. Une fois le scénario mis en place entre les deux grands, il incombait à la Russie de «convaincre» la Syrie. Il convient de noter que la proposition russe a été faite alors que le ministre syrien des Affaires étrangères se trouvait à Moscou et qu'elle a été acceptée in situ. Damas avait été certainement préalablement mis au courant de ce qui se tramait et Walid al-Mouallam s'était rendu à Moscou pour recevoir de plus amples informations et se voir dire qu'il n'y avait pas d'autre issue de secours. Aujourd'hui que la proposition russe intéresse les pays occidentaux engagés contre la Syrie, essentiellement la France et les Etats-Unis qui se trouvent dans un splendide isolement, il faudra attendre la suite des événements au niveau du Conseil de sécurité qui devra être saisi d'un projet de résolution dont le vote pourrait refaire son unité mise à mal par le conflit syrien. La France va probablement se charger de cette tâche. Le texte qui sera adopté fixera à Damas un chemin à suivre pour se débarrasser de ses armes nucléaires, une tâche non aisée qui sera accomplie avec l'aide de la communauté internationale et qui pourrait prendre plusieurs années. En attendant, il faudra sécuriser les stocks qui seront probablement regroupés. Il faudra aussi que la Syrie ratifie la «Convention sur l'Interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage, de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction». Elle se verra probablement soumise par le Conseil de sécurité à des obligations qui dépassent cette Convention. Pourquoi la Syrie n'a pas signé la Convention en 1993? La Convention sur l'interdiction des armes chimiques est le premier instrument international juridiquement contraignant qui supprime une catégorie d'armes de destruction massive (ADM), les deux autres étant les armes bactériologiques et les armes nucléaires. Négociée à Genève au début des années 1990, elle a été signée à Paris, le 13 janvier 1993 et est entrée en vigueur le 29 avril 1997. Partant d'une conviction profonde que le désarmement favorise la paix et la sécurité internationales, l'Algérie avait déjà pris la décision de prendre part à la cérémonie de signature de la Convention (qu'elle avait ardemment défendue lors des négociations à la Conférence du désarmement à Genève) lorsqu'elle reçut une lettre du ministre des Affaires étrangères d'Egypte lui demandant de ne pas signer, parce que Israël dispose d'armes nucléaires. La même démarche avait été entreprise auprès des autres Etats arabes qui, à l'exception de quelques-uns (Syrie, Liban, Egypte, Irak) furent tous présents à Paris. Depuis, tous les pays arabes sont devenus parties à la Convention sur les armes chimiques à l'exception de la Syrie et de l'Egypte. Quant à Israël, il l'a signée, mais ne l'a jamais ratifiée! La démarche du ministre égyptien des Affaires étrangères était tardive et aurait dû faire l'objet d'une concertation préalable au niveau de la Ligue des Etats arabes. Par ailleurs, l'argument avancé (armes nucléaires israéliennes) manquait de réalisme. On ne peut pas comparer les armes chimiques et les armes nucléaires qui sont les plus terrifiantes que l'homme ait jamais produites. Les images montrant des Israéliens se précipitant sur les masques à gaz ou calfeutrant leurs maisons avec du papier adhésif relève de la mise en scène d'une propagande destinée à faire un clin d'oeil aux sinistres camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale et à émouvoir (tromper) l'opinion publique. Ceci ne doit pas nous faire oublier qu'Israël est un pays doté de l'arme nucléaire même si, fidèle à sa politique de «l'ambigüité», il ne confirme ni n'infirme leur possession, ce qui est désormais une vérité universellement admise. Les pays occidentaux ne sont pas indemnes de tout reproche Il ne s'agit pas de reprendre ici les informations faisant état de la livraison de gaz toxiques par les Etats-Unis à l'Irak lors de la première guerre du Golfe, mais de passer en revue les déclarations/réserves faites par certains pays lors de la ratification de la Convention sur les armes chimiques pour échapper à certaines obligations: Les Etats-Unis sont allergiques aux obligations en matière de vérification prévues par les instruments juridiques en matière de désarmement. Par contre, ils exercent toutes les pressions possibles pour que les autres les respectent rigoureusement. S'agissant de la Convention sur les armes chimiques, ils ont fait une déclaration/réserve subordonnant leur acceptation de la vérification à certaines restrictions: «Aucun échantillon prélevé aux Etats-Unis dans le cadre de la Convention ne doit être transféré à des fins d'analyse dans un laboratoire situé hors du territoire des Etats-Unis». Ces restrictions, notamment dans un domaine aussi sensible que la vérification, sont incompatibles avec les obligations assumées en vertu de la Convention. Les pays de l'Union européenne, dont la France, ont tous fait individuellement la même déclaration: «En tant qu'Etat membre des Communautés européennes, la France déclare que les dispositions de la présente Convention seront exécutées, en ce qui la concerne, selon ses obligations découlant des règles des Traités instituant les Communautés européennes dans la mesure où de telles règles sont d'application». Or, le droit communautaire ne saurait se placer au-dessus du droit international. Ces pays doivent accepter d'assumer toutes les obligations découlant de la Convention pour ne pas fausser le principe de l'application intégrale et sans discrimination des instruments juridiques internationaux par tous les Etats parties, principalement en matière de désarmement. On en vient à l'Iran qui a été victime de la part de l'Irak de l'emploi de gaz toxiques durant la première guerre du Golfe dans les années 1980. D'emblée, sa déclaration rappelle que «La République islamique d'Iran, se fondant sur les principes et doctrines de l'islam, considère les armes chimiques comme inhumaines et a toujours été à l'avant-garde des efforts déployés par la communauté internationale pour éliminer ce type d'armes et en prévenir l'utilisation». Plus loin, elle insiste, sous peine de «retrait de la Convention», sur «l'application intégrale, inconditionnelle et non sélective» de toutes ses dispositions, «notamment dans les domaines relatifs aux inspections (vérification) et au transfert de technologie et de produits chimiques à des fins pacifiques». Toutes les déclarations des pays en voie de développement vont dans le même sens à savoir l'application intégrale et sans discrimination de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Par contre, les pays occidentaux se placent au-dessus de telles considérations et ont tendance à se protéger. Pourquoi ne lèveraient-ils pas leurs réserves? Une convention en matière de désarmement ne doit pas introduire de discrimination entre les Etats parties et donc s'appliquer à toutes de façon égale. C'est le cas de toutes les conventions en matière de désarmement à part le Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) qui, pour des raisons historiques (et supposées être temporaires) consacre deux souverainetés en accordant à cinq Etats seulement le droit de posséder des armes nucléaires. Un rêve: faire en sorte que la crise syrienne accouche d'un bien Il ne s'agit pas ici d'aborder le problème palestinien qui demeure central pour toute paix au Moyen-Orient, mais de rappeler le projet consistant à faire de cette région une zone exempte d'armes de destruction massive. Il remonte à 1974, date à laquelle l'Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution sur ce point à la demande de l'Iran. Ce projet est constamment rappelé dans les fora internationaux, mais Israël, fort de ses appuis occidentaux, a réussi jusqu'à présent à le mettre en échec. Une fois que la Syrie se sera débarrassée de ses armes chimiques, il ne restera au Moyen-Orient qu'Israël qui dispose d'armes de destruction massive, en l'occurrence d'armes nucléaires. Si les grandes puissances étaient vraiment désireuses de stabiliser la région du Moyen-Orient, elles devraient exercer les pressions nécessaires pour faire de cette région une zone exempte de ces armes. Même la crise nucléaire iranienne trouverait ainsi sa solution. Mais qui va «convaincre» Israël comme la Russie a su «convaincre» la Syrie?