Après avoir épuisé tous les recours, les citoyens de cette commune ont décidé de passer à une autre étape de protestation. Climat surchauffé dans cette salle de la bibliothèque municipale de Oued S'mar, anciennement siège de la garde communale. Mercredi, il est 17 heures et l'assemblée générale de l'association Nasr des bénéficiaires d'arrêtés de logements sociaux, qui attendent, depuis 13 ans, une clef ou du moins, une promesse, peut commencer. Il y a foule cet après-midi, des femmes avec leurs enfants, des vieux impatients et des jeunes décidés à en découdre avec «ce terrorisme administratif». Le président de l'association, Ramdhane, ouvre la séance en rappelant les derniers développements de ce qui s'apparente plus à un parcours du combattant. Lors du dernier sit-in des citoyens de cette commune devant le siège de la daïra d'El-Harrach, le président de l'APC, M.Rabah Rebbouh, s'était engagé à étudier la situation des demandeurs de logements au cas par cas. Sur la base des fiches de renseignements dûment remplies et légalisées, l'APC a initié des enquêtes sur la situation sociale de ces demandeurs de logements et a dégagé une liste de 101 personnes, liste communiquée par le maire au wali délégué d'El-Harrach le 24 octobre dernier selon le bordereau d'envoi (N°993/SG/2001 et enregistré au niveau de la circonscription administrative d'El-Harrach sous le numéro 5333). Lors de cette opération, le président de l'APC a été coopératif, en mettant à la disposition des membres de l'association le bureau du logement social de l'APC. Tout semblait rentrer dans l'ordre. Mais quelques jours après, et à l'occasion d'une réunion du conseil municipal, deux élus s'en prennent au maire lui reprochant d'avoir pris langue avec les représentants des citoyens. Commencent alors des pressions visant à faire capoter les initiatives prises conjointement entre le maire et les membres de l'association Nasr. C'est la «khalouta» générale, donc, à l'APC de Oued S'mar et qui fera dire au maire qui a reçu le bureau de l'association: «Maintenant, je suis seul». Sur un autre plan, les services de la circonscription administrative d'El-Harrach ont, et contrairement aux engagements du wali délégué, refusé à quatre reprises les demandes d'audience formulées par l'association Nasr. Plus grave encore, le chef de cabinet du wali délégué a même menacé l'un des membres du bureau de cette association - qui venait déposer une demande d'audience - de le traîner en justice en lui «confisquant» sa carte d'identité. Le président de l'association a beau se démener comme un diable pour rencontrer le wali délégué, pour rien au monde le chef de cabinet n'acceptera. Tout récemment encore, mercredi dernier, la matinée même de l'assemblée générale, ce fonctionnaire au service de la République avait répondu aux propos du président de l'association: «Im-po-ssi-ble!» Pour en revenir à ces élus de l'APC de Oued S'mar, qui d'après les dires des membres de l'association font barrage au règlement de la crise, les représentants des citoyens sont formels: «Nous avons des dossiers et des preuves sur ce qu'ils ont détourné au profit de leurs familles, le maire a été correct avec nous, il faut s'occuper de ces élus, qu'ils assument leurs responsabilités!» La tension régnant dans cette assemblée générale monte d'un cran, les présents crient: «Fermons l'APC, bloquons la daïra, coupons la route, occupons la zone industrielle et la gare de train. Pas de retour en arrière!» Le président de l'association se tourne vers nous: «Vous voyez, ils sont à bout.» Une personne de l'assistance nous interpelle: «On en a marre de la boulitik, des réunions et de la paperasse, 13 ans barakat! Allez, on casse tout!» Et à un citoyen de renchérir: «Zerhouni ne viendra nous voir que lorsqu'il y aura du sang!» Le président Ramdhane tente de les calmer: «C'est ce qu'ils veulent, nous pousser à casser, à brûler l'APC pour faire disparaître les dossiers des affaires louches. Nous n'allons pas tomber dans leur piège!» Et l'assistance de scander: «Non à la casse, non à l'anarchie!» Les membres de l'association tiennent à souligner le caractère pacifique de leur contestation. «Nous avons tenu nos sit-in sans qu'un seul verre d'eau se casse nous sommes contre la violence. Le ministre de l'Intérieur, lui-même, l'a dit, les sit-in pacifiques sont un droit pour les citoyens et Bouteflika a affirmé que la parole revient au peuple.» Dans le lot des citoyens venus nombreux cet après-midi dans cette salle qui commence à chauffer sérieusement, quelques personnes, profitant d'une suspension momentanée de séance, viennent à nous, comme cet ancien moudjahid: «Pourquoi j'ai fait la Révolution? Pour me retrouver comme ça, avec 16 personnes dans un F3!». Et ce jeune homme qui nous prend en aparté: «Nous sommes 14 chez nous, et on est quatre célibataires dont le plus jeune à 35 ans». Ou alors ces deux femmes qui osent à peine parler. Leurs maris, des policiers, ont été assassinés par des terroristes. Elles ont bénéficié de contrats de logement APC/CNEP, elles ont vu, au niveau de l'APC, leurs affectations de logements, mais elles n'ont rien eu. Et aussi, cette mère de famille de huit personnes qui a été sommée par sa logeuse de vider les lieux le 15 novembre prochain. Le maire s'est engagé à l'héberger dans une bicoque près du stade municipal. Mais un élu, appelé Messaoud, refuse de céder la clef de cette habitation. «Pourquoi?», se demande t-on. «Cet élu cherche à s'approprier cette bicoque», nous confie l'une des personnes présente dans un élan de révolte et d'indignation. «Zid aussi que l'APC a donné des chutes de terrains, situées derrière le commissariat, à des mâarifa, des copains des élus en laissant de côté les véritables nécessiteux!» Les femmes et hommes présents dans cette salle attendent une nouvelle proposition des membres de l'association. «Nous allons organiser le plus important de nos sit-in, ça sera devant la présidence». Des cris de satisfaction fusent alors de la foule des citoyens. «Nous allons donner une semaine à l'APC et à la daïra pour qu'elles se prononcent une fois pour toutes», annonce le président de l'association. «Nous avons des dossiers, sinon n'kecheffou el bazga!» En amont, le Président Bouteflika et son Chef de gouvernement, M.Benflis, à divers occasions, ne cessent de rappeler aux élus locaux, représentants de l'Etat auprès du citoyen, leur devoir et leur mission. Récemment, et à l'occasion du regroupement des 15 walis de l'Est à Constantine, M.Benflis a carrément sommé les élus d'être à l'écoute des citoyens, particulièrement concernant les conditions de vie. En aval, quelques élus du peuple ont développé une tout autre optique de gestion. A l'approche des élections législatives il semble que la priorité est à la rapine et aux détournements, question de rafler le plus rapidement possible le maximum avant de céder le poste.