Cet état de fait, largement constaté lors de la dernière élection présidentielle, est plus apparent dans la présente campagne. Après le retrait de l'armée de la scène politique, l'issue de la prochaine élection semble être dans les portefeuilles des candidats. Les plus en vu sont actuellement ceux qui disposent des soutiens des grosses fortunes du pays. De la mainmise des militaires sur la décision de l'élection d'un président, l'Algérie est en train de glisser dans celui du lobbying financier. Pourtant, le mode de financement de la campagne électorale est codifié par la loi. Les dépenses électorales sont plafonnées. Outre l'aide de l'Etat accordé par l'Etat, les prétendants à la magistrature suprême sont tenus par force de loi de ne pas dépasser un seuil de 5 milliards de centimes dans leurs dépenses. L'objectif recherché par le législateur est de garantir une équité entre les candidats en les mettant sur un pied d'égalité. Or, il est clair, à voir les moyens dont disposent les différents candidats à la prochaine élection présidentielle, que la réalité est tout autre sur le terrain. Cet état de fait, largement constaté lors de la dernière élection présidentielle, est plus apparent lors de la présente campagne où l'on peut aisément remarquer le grand écart entre les moyens de certains candidats par rapport à d'autres. En effet, l'opinion publique nationale aura sans doute remarqué l'impressionnante logistique dont dispose le président-candidat, comparativement à celle de ses adversaires. Vient ensuite Ali Benflis qui semble également bien appuyé au plan financier, puisqu'il se déplace en délégation assez fournie en partisans et autres journalistes totalement pris en charge. Saïd Sadi et Abdallah Djaballah qui sillonnent le pays du Nord au Sud et d'Est en Ouest donnent l'impression d'être moins «riches» que les deux premiers cités, puisqu'ils n'assurent pas les frais de transport des hommes et femmes de médias désignés pour couvrir leurs déplacements. Quant à Louisa Hanoune et Ali Fawzi Rebaïne, ils semblent dans l'incapacité totale de s'assurer une couverture correcte de leurs activités électorales. A côté de cette disparité, l'on constate également une inégalité criante par rapport à la masse de matériel électoral d'un candidat à un autre. En effet, alors que les affiches des candidats Benflis et Bouteflika inondent les murs de toutes les villes du pays, les posters des quatre autres candidats font des apparitions timides sur les panneaux publicitaires, implantés pour l'occasion, par l'administration. Cela sans compter les sommes faramineuses dépensées par le président-candidat et son ex-chef de gouvernement dans la confection de gadgets électoraux, tels les tee-shirts, casquettes et autres CD, trouvaille du comité de campagne de Bouteflika. Aussi, à voir le déroulement de cette campagne, l'on comprend aisément que les 6 candidats ne partent certainement pas sur un pied d'égalité. Cet état de fait explique le soutien apporté par de nombreux hommes d'affaires aux deux candidats les mieux placés dans cette course à la magistrature suprême. Il est donc évident que les industriels ont mis la main à la poche pour garantir une bonne campagne à leurs poulains et il est tout aussi évident que ce soutien financier dépasse de très loin la barre des 5 milliards de centimes prévue par la loi. Le Forum des chefs d'entreprise, le Conseil des industriels de la Mitidja (Ceimi) et autres organisations patronales qui se sont mis derrière Bouteflika pèse très lourd dans la balance. Les candidats Benflis, Djaballah et Sadi ont, eux aussi, leurs hommes d'affaires, même si leur poids financier semble de moindre importance. Restent Rebaïne et Hanoune qui partent largement handicapés sur ce plan précisément. Contrairement à celles qui l'ont précédée où les jeux étaient faits, pour la simple raison que l'armée avait son candidat, la présidentielle de 2004 se distingue par l'intrusion trop évidente des puissances de l'argent dans la campagne électorale. Même si dans toute démocratie moderne, l'argent est effectivement le nerf de la guerre, en pareille circonstance, il n'en demeure pas moins que cycliquement la question est abordée par la classe politique, à l'image de la France où un débat houleux a eu lieu sur les financements des campagnes électorales. L'autre exemple que les Algériens connaissent bien, celui des Etats-Unis, tranche radicalement avec le sens de l'équité que la loi électorale algérienne veut défendre, à la différence près que, aux Etats-Unis, on joue franc jeu, avec des lobbies identifiés qui agissent à visage découvert. L'Algérie, qui n'est pas dans ce cas de figure, court le risque de voir des puissances de l'argent, loin d'être organisées se poser en faiseuses de présidents. En tout état de cause, pour cette première expérience électorale sans l'intervention de l'armée, les candidats semblent ignorer cet état de fait, de sorte qu'à aucun moment, l'on n'a entendu l'un deux évoquer explicitement le sujet. De plus, l'impression qui se dégage est qu'il n'y a pas un contrôle rigoureux par rapport aux dépenses électorales. Une sorte d'anarchie s'est installée dans le paysage politico-électoral. Le débat sur la fraude a pris le pas sur celui des finances.