Les monarchies pétrolières du Golfe ont été irritées par le dégel inattendu entre les Etats-Unis, leur allié traditionnel, et l'Iran, leur rival régional dont ils redoutent les ambitions hégémoniques. Les voisins monarchiques de l'Iran «ont des craintes et des appréhensions» après le retournement spectaculaire dans la politique de Washington à l'égard de Téhéran, déclare le directeur de Gulf Research Center, Abdel Aziz Saqr, proche des milieux politiques saoudiens. Même si les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG- Bahreïn, Koweït, Oman, Emirats arabes unis, Qatar, Arabie saoudite), estiment qu'une détente américano-iranien peut contribuer à la sécurité régionale, ils sont réservés «sur la nature des concessions» qu'aurait faites Washington à Téhéran, ajoute l'analyste pour qui «il n'y a pas de rapprochement sans concessions». Le nouveau président iranien Hassan Rohani a entrepris en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, une offensive de charme envers l'Occident, couronnée vendredi par un coup de téléphone historique avec son homologue américain Barack Obama. Outre ce contact sans précédent depuis la rupture des liens en 1980, les Iraniens ont accepté de reprendre le 15 octobre à Genève les négociations sur leur programme nucléaire, soupçonné par les Occidentaux et Israël de comporter un volet militaire, ce que Téhéran dément. Maintenant que la pression internationale sur l'Iran devrait se relâcher, Téhéran va chercher à «élargir son influence régionale et à s'ingérer davantage dans les affaires de ses voisins», estime M.Saqr. Les monarchies du Golfe accusent l'Iran d'encourager en sous-main la contestation des communautés chiites à Bahreïn, en Arabie Saoudite et au Yémen. M.Saqr souligne en outre que le rapprochement américano-iranien est intervenu «dans un contexte de méfiance» entre les monarchies du Golfe et Washington, concernant notamment la guerre en Syrie. L'Arabie Saoudite, chef de file du CCG et principal soutien de l'opposition jihadiste syrienne, voulait une intervention militaire américaine contre le régime de Bachar Al-Assad qui n'a finalement pas eu lieu. «Alors que nous nous attendions à la frappe qu'il avait promise pour punir le régime syrien» après l'attaque chimique du 21 août près de Damas, «Barack Obama est allé frapper ses alliés», estime le chroniqueur saoudien Abderrahman al-Rached, résumant le malaise. «Nous ne comprenons pas pourquoi Obama a décidé d'ouvrir la porte, restée jusqu'ici fermée devant un régime considéré comme maléfique par les présidents américains» qui se sont succédé à la Maison-Blanche, a-t-il ajouté dans le quotidien arabe Asharq Al-Awsat. Pour l'analyste Abdelwahab Badrakhan, basé à Londres, les dossiers syrien et iranien sont liés, «l'Occident ayant besoin de l'Iran», principal soutien régional du régime Assad, pour mieux négocier un règlement au conflit en Syrie. «Et cela ne sera pas gratuit de la part de l'Iran, qui en tirera des dividendes aussi bien pour son programme nucléaire que pour son influence en Irak, en Syrie, au Liban et à Bahreïn», a-t-il dit. «Les monarchies du CCG s'en inquiètent» même si M.Rohani a tenu des déclarations apaisantes envers elles, selon M.Badrakhan. L'Arabie Saoudite n'a pas encore commenté le dégel irano-américain, alors que le roi saoudien Abdallah a, selon des informations de presse non confirmées, invité le président iranien à effectuer en octobre le pèlerinage annuel à La Mecque. Samir Altaqi, directeur d'Orient Research Center basé à Dubaï, estime que les monarchies du CCG devraient être associées à tout arrangement sur un futur «rôle régional» de Téhéran. Sinon, elles «seraient amenées à agir selon leurs intérêts». «Outre un travail de lobbying auprès du Congrès et des centres de décision américains», ces pays dont les recettes pétrolières et gazières sont libellées en dollars américains, peuvent désindexer partiellement leurs monnaies du billet vert, au profit d'un panier de devises, a suggéré M.Saqr. «Ils adresseront ainsi un message exprimant leurs réserves sur le rapprochement américano-iranien».