Refus d'armer les rebelles syriens, main tendue à l'Iran : les monarchies arabes du Golfe, pourtant alliées des Etats-Unis, accueillent demain, dimanche, le secrétaire d'Etat John Kerry avec des interrogations sur la politique régionale de Washington. M. Kerry, dont c'est le premier voyage comme chef de la diplomatie américaine, doit rencontrer dimanche à Ryad ses pairs du Conseil de coopération du Golfe (CCG), regroupant six pays, dont l'Arabie Saoudite est le chef de file, avant de se rendre à Abou Dhabi et Doha. «Il y a des inquiétudes, de la déception, de la frustration à l'égard de la politique américaine», souligne Abdulaziz Sager, directeur du Gulf Research Center. Les Etats-Unis et les pays du CCG «ne sont pas d'accord sur les principaux sujets: la Syrie, l'Iran, le conflit israélo-palestinien, Bahreïn». D'après cet expert saoudien, certains hauts responsables des pays du Golfe disent même en privé qu'il est désormais «difficile de faire confiance aux Américains». Plusieurs de ces riches monarchies pétrolières, en particulier l'Arabie Saoudite et le Qatar, ont pris fait et cause pour la rébellion en Syrie, proclamant le droit du peuple syrien à se défendre et estimant que le régime du président Bachar Al-Assad ne voulait pas de solution politique. Washington a annoncé jeudi une aide supplémentaire de 60 millions de dollars à l'opposition syrienne et pour la première fois des aides directes, mais refuse toujours les livraisons d'armes, redoutant qu'elles tombent aux mains d'extrémistes. Et les Etats-Unis «empêchent également les pays du Golfe d'aider les rebelles», affirme M. Sager. Selon Mustapha Alani, un expert en questions stratégiques basé à Dubaï, «toutes les livraisons d'armes à destination des rebelles syriens financées par les pays du Golfe se sont interrompues depuis le mois de septembre, en raison d'un veto américain». Washington n'est pas assez ferme. La seule exception, souligne M. Alani, est la cargaison évoquée par le New York Times cette semaine, selon lequel des armes achetées par l'Arabie Saoudite en Croatie sont parvenues aux rebelles en décembre via la Jordanie. «Certains pays du Golfe estiment que les Etats-Unis ne vont pas assez loin ni assez vite dans leur politique à l'égard de la Syrie», où plus de 70 000 personnes ont été tuées selon l'ONU en près de deux ans, explique Salman Sheikh, directeur du Brookings Doha Center. Les pays du CCG ne cachent pas non plus leur inquiétude face à la politique américaine sur l'Iran, leur voisin immédiat dont ils redoutent les ambitions nucléaires. «Aux yeux des pays du CCG, M. Kerry n'est pas assez ferme sur l'Iran. Ils pensent que les Etats-Unis doivent laisser l'option militaire sur la table en cas d'échec de la politique des sanctions», souligne M. Alani. Pour ces pays, la politique des sanctions a clairement montré ses limites en Irak, au Soudan et surtout en Corée du Nord, pays qui vient de mener un essai nucléaire. Quant au conflit israélo-palestinien, les pays du Golfe ne cachent pas leur frustration à l'égard de l'échec de l'administration américaine à imposer la solution des deux Etats, selon les experts. Washington et les pays du Golfe divergent en outre sur Bahreïn, où des troupes des pays du CCG sont déployées depuis l'écrasement d'un soulèvement mené par la majorité chiite contre la monarchie sunnite en mars 2011. Les Etats-Unis continuent à voir «des revendications politiques» de l'opposition chiite alors que pour les pays du CCG, «il s'agit d'un problème de terrorisme», souligne M. Sager. De plus, les monarchies du Golfe n'ont pas oublié comment l'administration américaine «s'est rapidement détournée de ses anciens alliés» dans les pays du Printemps arabe, rappelle M. Sheikh, tout en estimant qu'il faut donner sa chance à M. Kerry, qui «connaît le Proche-Orient et va apporter une attention renouvelée à cette région».